Thorn le prédateur
de ma gourde
pour nettoyer cette salive mortelle. Et à partir de cet instant, je restai bien
à l’écart.
Quand enfin, la crise s’estompa et libéra son corps de sa
rigidité, l’inhabituelle pression du coussin dans son dos lui fit reprendre
conscience. Ayant retrouvé son souffle, il laissa ses vieux souvenirs, grimaça
vers le ciel et jeta un vague regard dans ma direction. Il s’éclaircit la gorge
et cracha un peu de sa salive mêlée de pus, avant de demander d’un ton
voilé :
— Quelle heure de la nuit est-ce ?
— Il fait jour, fráuja, fis-je consterné. Il est
tard dans l’après-midi.
— Akh, alors ça fait un moment que je suis dans cet
état. Je t’ai fait peur, gamin ?
— Seulement quand vous avez essayé de me mordre.
— Quoi ?
Il lança sa tête dans ma direction comme s’il allait
réitérer la chose.
— Tu es blessé ?
— Ne, ne. (Je lui précisai ce qu’il en était.)
Pour la première fois de votre vie, vous avez manqué votre cible.
— Par Bonus Eventus, le dieu des fins heureuses, sache
bien que je m’en réjouis.
Il inspecta les alentours, puis au prix d’un effort immense,
se traîna jusqu’à un arbre proche et s’adossa contre son tronc. Dès qu’il eut
récupéré de cette débauche d’énergie, il ordonna :
— Gamin, je veux que tu fasses deux choses pour moi.
D’abord, prends ces cordes qui servent à attacher nos bagages et attache-moi
bien serré contre ce tronc d’arbre.
— Que dites-vous ? Vous êtes malade ! Je ne
vais pas faire une ch…
— Fais ce que te commande ton maître, apprenti, tant
qu’il peut encore donner des ordres intelligibles. Vite !
Je n’étais pas sûr qu’il eût à cet instant toute sa tête,
mais j’obéis. Et comme j’étais en train de l’assujettir au tronc d’arbre, il
ajouta :
— Laisse-moi les mains libres. C’est ma bouche qui est
dangereuse. Il ne faut pas que je puisse mordre quelqu’un durant mon délire.
— Personne d’autre ne viendra, l’assurai-je. Livia m’a
dit que ce coin du Toit de Pierre était inhabité.
— Cela ne doit pas menacer non plus les hôtes des
forêts. Les animaux, plus peut-être que tous les humains que j’ai croisés dans
ma vie, méritent d’être épargnés de ce genre de souffrance. Iésus, gamin,
attache-moi serré. Et arrange-toi pour que les nœuds soient solides.
Maintenant, je veux que tu prennes les chevaux et que tu les emmènes loin
d’ici, parce qu’il n’y a pas… il n’y a pas…
Pour l’aider, je terminai sa phrase.
— Il n’y a pas d’herbe à brouter, ni même un peu d’eau
à…
Argh-rgh-rgh ! rugit-il, et il rua si
vigoureusement que je me félicitai de l’avoir attaché. Dans un effort héroïque,
il lutta pour reprendre le contrôle de lui-même, jusqu’à ce qu’il puisse
articuler :
— Au nom de tous les dieux… fais-moi grâce de ce mot.
Il ne faut pas que je perde conscience… avant d’avoir fini… ce que j’ai à te
dire…
Misérable, j’obéis en silence jusqu’à ce qu’il puisse
continuer.
— Prends les chevaux, nos bagages et nos armes. Tous
nos biens. Ramène les chevaux à l’étable, et…
— Mais fráuja, protestai-je, un sanglot dans la
voix. Je ne peux pas en conscience…
— Arrête d’ergoter ! Tu n’as rien à gagner à
rester ici me regarder faire le tetzte et m’affaiblir, et assister au
pitoyable spectacle que je donne de moi-même. Aucune de tes superstitions ou de
tes nostrum magiques ne pourra enrayer l’affliction. Il y a juste à
attendre qu’elle passe. Aussi, va-t’en. Va m’attendre à la taverne, et je t’y
rejoindrai dès que… dès que je le pourrai.
— Me rejoindre ? fis-je, dans un gémissement
implorant, car j’avais déjà commencé à pleurer. Vous êtes attaché !
— Vái, espèce de jeune coq présomptueux,
siffla-t-il aussi rudement qu’il m’avait toujours traité. Dès que j’aurai les
idées claires et que ma force sera revenue, je n’aurai aucun mal à me défaire de
liens noués par un chétif gamin comme toi. Je te l’ordonne… va-t’en,
maintenant.
Les joues ruisselantes de larmes, j’empaquetai pratiquement
tout ce que nous avions emmené d’Haustaths et chargeai les bagages sur nos
chevaux. Je ne laissai de côté que l’arc de guerre et le carquois de Wyrd, que
j’enfilai sur mon dos, et les restes cuits de notre volaille de la veille. Ça,
et la flasque de Wyrd, que je laissai à portée de sa
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