Thorn le prédateur
Wyrd, et là, dans le doux et tendre bois de
sapin, je gravai en lettres gotiques :
Il marchait noblement et parlait franchement.
*
Quand j’achevai cet hommage, la nuit m’avait enveloppé. Je
ramassai donc la gourde de Wyrd et dévalai la pente sans me retourner, pour
rallier l’endroit où m’attendaient les chevaux. Ils émirent à mon intention une
petite complainte de faim et de soif, mais je ne pouvais, dans le noir, les
conduire en un lieu où paître. Je m’enroulai donc dans ma fourrure et, épuisé,
sombrai dans le sommeil. À l’aube, je me relevai à et redescendis les bêtes à
l’écurie d’Haustaths.
À la taverne, avant même qu’Andréas ait pu me poser la
moindre question, je lui déclarai sans ambages :
— Notre ami Wyrd est mort.
— Quoi ? Comment cela ? Il était encore là il
y a trois jours de cela, et…
— Il savait déjà qu’il était en train de mourir,
fis-je. De toute façon, on le lui avait prédit. Ainsi qu’à moi. Maintenant, si
tu veux respecter ma douleur, Andréas, j’aimerais ne plus parler de sa mort.
Tout ce que je souhaite, c’est régler notre note, disposer des affaires de mon
maître, et reprendre ma route.
— Je comprends. Seras-tu d’accord pour que je rachète
certaines de ses affaires ? Celles que je ne pourrai utiliser moi-même, je
peux toujours leur trouver d’autres acheteurs.
En moins d’une journée, je me débarrassai de tout ce que je
n’avais pas envie d’emporter avec moi. Des biens de Wyrd, je ne conservai que
son arc de guerre, son carquois et ses flèches, ses filets et lignes de pêche,
sa pierre de soleil, le glitmuns, son écuelle de cuivre et son couteau
de facture gothe. Je glissai celui-ci dans mon étui de ceinture, et jetai mon
vieux couteau de qualité inférieure. Andréas acheta sa hache de combat, sa
fourrure de couchage, sa flasque gainée de cuir et tout le reste de ses
affaires. Le propriétaire de l’écurie racheta très obligeamment son cheval pour
une jolie somme, avec sa selle et son harnais, car il n’avait jamais rien eu de
si raffiné qu’un cheval de cette lignée des Kehailan orné de tout son
harnachement romain.
Même après avoir réglé l’auberge et l’écurie, la vente de
ses objets me laissa un beau pécule. Cumulant désormais le contenu de ma bourse
et de celle de Wyrd, je disposais d’une fortune assez coquette, du moins pour
un roturier de mon âge. Je n’en tirai cependant pas un grand plaisir, vu les
circonstances. Je passai une dernière nuit à la taverne, fis mes adieux à
Andréas et sa vieille épouse puis achevai le paquetage de Velox. Ce faisant, je
découvris que j’étais toujours en possession de la fiole de cristal de Mère
Aethera. Vide du lait de la Vierge, elle ne m’était plus d’aucune
utilité – en fait, elle ne m’avait jamais servi à rien, même quand elle en
contenait encore – mais je la trouvai trop jolie pour la jeter, et la
rangeai avec le reste.
Une fois sorti de l’écurie, je me trouvai à la sortie
d’Haustaths, et fis une pause au bas de la piste qui conduisait à la mine de
sel. Là, j’envisageai un instant d’aller saluer également la petite Livia. Mais
non, me dis-je. Ce serait pour la quitter aussitôt, ce que j’avais déjà fait.
Elle avait eu quatre jours pour s’habituer à mon absence… peut-être
m’avait-elle déjà oublié ; les enfants ne conservent pas longtemps en
mémoire une amitié éphémère, quelle que soit son intensité. Je décidai qu’il
serait plus délicat de ne pas raviver un contact voué à s’achever aussitôt.
Je restai donc juché sur ma selle un moment encore pour
embrasser une dernière fois d’un regard circulaire la beauté qui
m’environnait : ce lac plus bleu que bleu, ses hérons, ses cygnes et ses
petits « marcheurs » épars, les élégantes maisons d’Haustaths
empilées tout en hauteur, l’horizon déchiqueté des Alpes couronnées de neige.
Je quittai la Vallée aux Échos le cœur empli de regrets. En partie pour son
exceptionnelle beauté, mais surtout parce que j’y laissais l’homme qui m’avait
été le plus cher, et une part essentielle de ma vie. Je tentai au moins de me
réconforter en pensant que Wyrd avait choisi une retraite exquise pour son
dernier sommeil. Et je fis claquer les rênes sur Velox pour reprendre mon
voyage vers l’est. Comme je l’avais commencé, seul.
VINDOBONA
27
Je n’avais pas vraiment laissé Wyrd derrière
Weitere Kostenlose Bücher