Thorn le prédateur
troupeau, voire un simple marcheur solitaire sur
la piste. Même un aventurier débutant comme moi était capable de déceler la
présence d’un bourg rien qu’en regardant les oiseaux. Tant que je ne voyais aux
alentours que des cigognes noires ou des pies bleues et ocre, je savais que je
me trouvais en pleine nature sauvage. Dès que je commençais à croiser ces
cigognes blanches qui nichent sur les toits et les pies voleuses dans leur
livrée blanche et noire, je pouvais être sûr, en revanche, que les habitations
n’étaient pas loin.
Je découvris peu à peu que la population de ces contrées se
composait pour l’essentiel de tribus germaniques secondaires éparses (des
Hérules ou des Lombards) vivant d’élevage. Le paysage alternait de grandes
étendues de forêts épaisses et des clairières peuplées de huttes de bergers
serrées les unes contre les autres, pour garantir tant leur sécurité qu’une
relative convivialité. C’étaient tout au plus de simples hameaux ou de petits
villages, et en aucun cas de grandes villes. Un hameau n’abritait qu’une sibja, entendez par là une famille au sens large, que le plus vieux, le plus sage
ou le plus fort dirigeait. Un village pouvait être peuplé d’un gau, agglomération
de plusieurs sibjas, formant une sous-tribu aux ordres d’un petit chef
héréditaire.
Un autre signe m’enseigna vite, parvenu à proximité d’un de
ces lieux habités, si je pouvais le visiter sans crainte, ou s’il valait mieux
au contraire le contourner prudemment. Je découvris en effet que, lorsque la
surface défrichée autour de ces villages était étendue, et que l’on pouvait à
peine, de l’orée du bois, distinguer dans le lointain les premières
habitations, c’était signe que cette communauté s’accordait une certaine
importance. Il convenait alors de se méfier de ses habitants qui, désireux de
garantir l’inviolabilité de leurs terres, seraient sans doute peu enclins à
tolérer l’irruption d’un étranger, et le repousseraient par la force si
nécessaire.
Par nature, j’inclinais de toute façon à demeurer à l’écart,
sauf quand j’avais besoin de sel ou envie d’un bon verre de lait, ingrédients
que je ne pouvais me procurer par moi-même. Ces villages et hameaux offraient
par ailleurs peu d’attraits pour un voyageur tel que moi ; outre qu’ils
semblaient uniformément pauvres et crasseux, ils n’étaient peuplés que de
paysans ignorants, débraillés, à la physionomie repoussante.
Je ne dédaignais cependant pas à l’occasion, lorsque je
rencontrais un inoffensif paysan en chariot ou un berger, de faire un petit
bout de chemin avec lui, histoire de converser avec autre chose que le gáis, l’esprit de Wyrd. Nos conversations étaient bien entendu proportionnées à
ce que je parvenais à comprendre de leur dialecte local dérivé de la Vieille
Langue.
La plupart des paysans que je rencontrai ne savaient pas
grand-chose du monde qui entourait leur village. Ils s’en fichaient d’ailleurs
éperdument. Lorsque je demandai à l’un d’entre eux s’il avait eu vent
d’événements plus importants que le mariage de deux personnes sans importance
du cru, il me déclara avoir vaguement entendu parler de guerres et de batailles
« quelque part par là-bas »… Où, il n’en savait rien, excepté que
c’était loin de chez lui. Et quand je m’avisai de demander à un autre où menait
la piste sur laquelle je me trouvais, il ne sut que me répondre :
— J’ai entendu dire (comme s’il s’agissait d’une rumeur
à laquelle il ne croyait pas vraiment) qu’elle mène de cette province-ci vers
une autre, et que là-bas coule une grande rivière, menant à une ville assez
vaste.
— D’accord… mais quelle est la province voisine ?
Quel nom porte la rivière en question ? Et cette grande ville, comment
s’appelle-t-elle ?
— Leurs noms ? Akh, étranger, si nom il y
a, je ne saurais vous le dire.
Un jour, alors que je chevauchais seul sur une large portion
de piste en terre battue, Velox dressa soudain les oreilles vers l’avant.
Presque aussitôt, j’entendis assez loin devant nous le trot de nombreux sabots
martelant le sol. J’arrêtai mon cheval et concentrai mon attention. Au bout
d’un instant, je distinguai des cliquetis et des grincements, non seulement
ceux de selles et de harnais mais aussi ceux que produisent le contact de
l’armure avec des armes et les cahots de chevaux. Je conduisis
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