Thorn le prédateur
général, et notre point de
rendez-vous.
— Gudisks Himins, murmura Amalric. Je crains
fort dans ce cas que vos secrets soient éventés. Cette harpie n’aura pas manqué
de lire chacun de vos messages, et d’ébruiter leur contenu ou de l’utiliser à
son avantage.
— Vous avez une bien haute opinion de cette dame !
pouffai-je.
— Je ne suis pas le seul à le penser, Votre
Sérénité : tout le monde à Vindobona sait à quoi s’en tenir. En plus de
voler tout ce qui peut lui servir, cette veuve a l’art et la manière de glaner
furtivement les petits secrets des gens les plus éminents, pour leur tirer des
poches autant d’or qu’elle en veut sous peine de les divulguer à toute la
ville. Certains pensent qu’elle apprend tout cela par la pratique de la
sorcellerie haliuruns. Je ne sais comment elle s’y prend, mais elle
connaît sur le bout des doigts tant de choses intimes sur nos magistrats et
législateurs qu’ils n’osent la bannir de notre cité, comme ils devraient le
faire. J’espère en tout cas vous avoir convaincu de l’éviter.
Cette remarque entraîna de ma part un nouvel éclat de rire.
— Ni allis. Tu n’as fait qu’aiguiser ma
curiosité. J’adore apprendre de nouvelles choses. Découvrir une créature aussi
vénale doit être très instructif.
30
J’appris beaucoup, en effet, de mon séjour chez la veuve
Dengla. Mais il serait franchement détestable de ma part de vous le divulguer.
Lorsque je me présentai à sa porte ce matin-là, j’avais
revêtu ma tenue féminine la plus usée et fripée, et transportais mes maigres
effets dans un simple sac de toile. La porte vermoulue s’ouvrit sur une petite
bonne femme décharnée de l’âge d’Amalric. Elle était un peu mieux vêtue que
moi, bien qu’elle fut loin de ressembler à une patricienne. Elle avait le nez
retroussé, et son teint aurait été cireux si elle n’avait pas été aussi
tartinée de fucus, de terre de Sienne et de mastic ; ses cheveux devaient
probablement commencer à grisonner, mais ils étaient artificiellement rougis à
l’orcanette.
— Caia Dengla, énonçai-je respectueusement.
Nouvelle arrivante à Vindobona, je cherche à me loger pour quelques semaines.
On m’a dit que vous pouviez, à l’occasion, donner asile à des pensionnaires.
Elle m’examina des pieds à la tête, bien plus effrontément que
je n’aurais osé le faire moi-même. Puis avant même de me demander mon nom, elle
s’enquit :
— Comment comptez-vous me payer, jeune fille ?
Je sortis ma main, et lui montrai quelques siliquae d’argent. Ses yeux scintillèrent de convoitise, mais elle renifla avec dédain.
— Juste pour une semaine, pas plus.
Me gardant bien de souligner que ses tarifs étaient
prohibitifs, j’ajoutai humblement :
— Je compte gagner un peu plus.
— Par la prostitution ? cracha-t-elle.
Elle ne semblait pas, cela dit, avoir d’objection morale à
ce genre de commerce, car elle précisa :
— Si tu as l’intention de recevoir tes stupratores [111] ici, ça te coûtera plus cher, ma petite.
— Je ne suis pas une dévergondée, Caia Dengla,
fis-je sans sourire ni manifester le moindre ressentiment, toujours sur un ton
très doux. Comme vous, je suis restée veuve très jeune, et ces quelques siliquae sont tout ce que mon mari m’a laissé. Mais je sais étirer les peaux, et
j’espère bien trouver à m’employer dans une tannerie de la ville.
— Entre donc, ma petite. Quel est ton nom ?
— Je m’appelle Veleda.
Le nom issu de la Vieille Langue que je m’étais choisi, qui
veut dire « celle qui dévoile les secrets », avait été celui d’une
très ancienne prêtresse et poétesse. J’avais résolu d’abandonner à jamais le
nom de celle qu’avait aimée Wyrd, et qui avait été la bien-aimée de Gudinand.
Si la maison de Dengla n’avait rien à voir avec l’opulent deversorium d’Amalric, elle était néanmoins plus luxueuse de l’intérieur que ne le laissait
penser son abord misérable. Je ne pouvais évidemment pas m’attendre à être
logée dans ces confortables pièces d’habitation, et la chambre qu’elle me
montra à l’étage s’avéra étroite et sommairement meublée, mais c’était plus
qu’il n’en fallait pour l’usage que je comptais en faire.
Sans la moindre gêne apparente, elle me déclara :
— Si tu t’es renseignée sur mon compte, on a dû te dire
que je volais. N’accorde aucun crédit à ces
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