Thorn le prédateur
ragots. Tu n’as rien à craindre
pour tes biens. Je ne vole que les hommes. Mais bon, entre femmes, on peut bien
se l’avouer : est-ce qu’on ne le fait pas toutes ?
— Je n’en ai pas encore eu l’occasion, murmurai-je.
— Je t’apprendrai, rebondit-elle, pourvu que tu restes
ici un moment. Je n’ai pas d’autres pensionnaires pour l’instant sur qui
exercer, mais sois sans crainte, je t’apprendrai cela… et d’autres choses dont
tu pourras avoir besoin, voire tirer du plaisir. Tu ne regretteras pas d’être
venue loger ici, Caia Veleda. Donne-moi toujours ces quelques siliquae. Mais je te préviens, je ne te rendrai pas un nummus si tu changes
d’avis avant la fin de la semaine.
— Pourquoi changerais-je d’avis ?
Elle eut un rictus ironique qui lézarda presque son
maquillage.
— Une seule fois dans ma vie, j’ai commis une erreur,
mais j’en ai été doublement punie. J’ai eu des jumeaux, dont je n’ai
malheureusement pas réussi à me débarrasser. Ils vivent ici.
— Les enfants ne me dérangent absolument pas.
— Moi si, fit-elle entre ses dents. Si seulement
j’avais eu des jumelles, elles seraient maintenant en âge de… enfin, d’être de
quelque utilité, n’est-ce pas. Mais des garçons ! Que sont les garçons, si
ce n’est de futurs hommes ? Autant dire des bêtes !
Elle m’informa qu’un prandium serait bientôt servi,
et me laissa. Je sortis mes quelques vêtements et les rangeai soigneusement
dans la chambre, puis descendis prendre mon premier repas chez la veuve Dengla.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’en dépit de la pauvreté dont elle
faisait état, elle avait les moyens d’employer une cuisinière qui vous servait
à table. C’était une femme au teint basané nommée Melbai, à peu près du même
âge que sa maîtresse et tout aussi quelconque d’aspect, mais elle avait au
moins le mérite de ne pas recourir au plâtrage pour s’embellir. Ce qui était
plutôt normal, pour une servante.
Présentée à celle-ci, je lui dis, par pure courtoisie :
— Melbai ? Ne serait-ce pas un nom étrusque ?
Elle acquiesça d’un sec hochement de tête, puis m’aboya
littéralement à la figure :
— Et le mot « étrusque » est latin, et nous
n’aimons pas qu’on nous appelle ainsi. Nous autres membres de cette race, bien
plus ancienne que les Romains, nous nous dénommons les Rasenar. Je suis une
Rasna. Tâchez de vous en souvenir, Veleda !
Je fus passablement estomaquée de voir une servante s’adresser
de la sorte à un invité payant. Mais elle s’assit ensuite avec nous pour
prendre le prandium ; je l’entendis alors aboyer tout aussi
rudement ses ordres aux deux garçons, et plus tard, je constatai qu’elle
employait le même ton vis-à-vis de sa maîtresse. Je commençai dès cet instant à
me douter que Melbai ne jouait pas exactement dans la maison le simple rôle
d’une servante, mais il s’écoula encore un moment avant que je comprenne la
nature réelle de leur relation.
Les jumeaux auraient parfaitement pu tenir ce rôle, en
revanche, et même celui d’esclaves de la maisonnée. Robin et Philippe n’avaient
pas encore douze ans, et on aurait pu s’y attendre, ils n’étaient pas
précisément ce qu’on pourrait appeler de beaux garçons. Ni très brillants,
hélas. Ils savaient néanmoins se tenir, quand je les vis à table ce jour-là,
tout comme les jours suivants et dans les rares occasions où je partageai leur
compagnie. Ils étaient en fait voués au silence et à l’invisibilité, car à tout
instant, on les sommait d’accomplir une tâche ou une autre, à moins que d’un
hurlement bien senti, ils ne soient priés par leur mère ou par Melbai de
déguerpir, et vite.
Le lendemain de mon arrivée chez Dengla, je sortis tôt le
matin, sous prétexte d’aller à la recherche d’un emploi chez un tanneur. J’en
aurais sans doute trouvé un si je l’avais réellement voulu, mais je désirais
simplement regarder la ville d’un autre œil, pour ainsi dire. Je fus surprise
du nombre de choses que Thornareikhs, arpentant les mêmes rues, n’avait
absolument pas remarquées, et que découvrit Veleda. Étant moi-même partie
intégrante du peuple, plutôt que de le toiser de mon illustrissime hauteur, je
pus l’observer sans que les gens ne s’arrêtent pour me saluer, s’écartent de mon
chemin, n’atténuent le bruit qu’ils faisaient en travaillant, ne mettent un
terme à leurs
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