Thorn le prédateur
pourra leur rendre une visite privée, sur rendez-vous
et moyennant le versement d’une modique donation à la société, dès que vous
jugerez l’occasion favorable de le faire, ou… (il gloussa d’un air salace)… ou
en cas d’urgente nécessité.
Après tout, me dis-je en aparté, Philippe et Robin seraient
sans doute plus heureux à vivre ici dans le temple qu’ils avaient pu l’être
avec leur mère. Peut-être même, en raison de leur intellect limité,
trouveraient-ils le moyen d’apprécier leur nouvelle vie de chair à louer. Pour
être honnête, j’étais bien plus désolée pour les chevreaux qui venaient d’être
tués et qui auraient pu, eux, devenir jolis à voir et intelligents, et plus
utiles à l’humanité.
Quoi qu’il en soit, j’en avais assez vu de cette bacchanale,
et ne me sentais pas le cœur d’attendre « l’aube et le débandement ».
Je n’avais plus qu’une idée, fuir ce nid de vipères, prête à me frayer un
chemin à coups de griffes si quelqu’un cherchait à m’arrêter. Mais nul ne
s’interposa. Pratiquement tous ceux présents dans le temple étaient occupés à
une besogne malpropre ou une autre, si bien que les rares qui remarquèrent que
je me rhabillais me jetèrent un simple regard désapprobateur. Et bien que la
porte du temple eût été prudemment entravée d’une barre, celle-ci se trouvait à
l’intérieur, aussi est-ce aisément, et avec la joie qu’on imagine, que j’en
sortis.
32
Je courus parmi les rues vides et sombres d’avant le lever
du jour jusqu’à la maison de la veuve, afin de pouvoir en ressortir avant que
Dengla et Melbai ne soient de retour. Là, je me lavai le visage et remis sur
moi les quelques vêtements de Thornareikhs que je conservais cachés parmi mes
habits de Veleda. Je fis ensuite un ballot de tout ce qui m’appartenait, et
pris mon envol, décidé à quitter définitivement cet endroit.
J’envisageai un instant de mettre le feu à la maison en
partant, tout comme de faire parvenir, je ne sais comment, un mot aux jumeaux
pour leur suggérer de se venger de leur odieuse lupa-lena de mère. Mais
je ne donnai pas suite. Bien que cette infecte créature méritât indubitablement
de subir le mal pour le mal, ce n’était pas à moi d’en décider. Elle serait
sûrement jugée, un jour, par un tribunal beaucoup moins indulgent que moi. Abyssus
abyssum invocat, dit le proverbe… L’enfer appelle l’enfer.
*
Le jour était à peine en train de poindre quand je rentrai
au deversorium d’Amalric le Gros, mais certains domestiques étaient déjà
levés. Aussi leur demandai-je, à l’impérieuse manière de Thornareikhs, de me
servir à manger et à boire. J’emportai mes habits dans ma chambre, et quand je
redescendis, la table avait été mise pour moi. Tandis que je sirotais un petit
vin de Céphalonie et dégustais un fromage de la Sassina, me réservant pour la
suite quelques figues de Caunia et une tranche de bon pain blanc, je
réfléchissais à ce que j’avais récemment appris de nouveau sur le monde, les
hommes, les femmes et les dieux. Ce qui était sûr, c’est que si quelqu’un
m’interrogeait un jour sur la vraie nature d’une orgie, je serais en mesure de
répondre en toute sincérité que cela n’avait rien de délicieusement pervers.
C’était peut-être effectivement pervers, mais positivement infect.
Des divers dieux que j’avais eu à connaître, Bacchus était
certainement le plus répugnant. Mithra, le dieu favori des soldats, ne
m’attirait guère plus, car ce culte excluait les femmes, or j’en étais une. Le
seul être en relation avec les dieux païens m’ayant semblé d’une relative
utilité avait été le vieux devin Winguric, de la tribu du roi Ediulf ;
mais celui-ci communiquait avec eux au moyen grotesque d’éternuements. En
définitive, la seule déité admirable que j’avais rencontrée était le dieu des
chrétiens ariens, qui du moment qu’on ne se conduisait pas de manière ignoble,
semblait se moquer qu’on lui rendît un culte à lui plutôt qu’à un quelconque
rival.
Toujours absorbé dans cette méditation, mais maintenant repu
d’un bon déjeuner, je commençai à ressentir les effets d’une puissante fatigue.
C’est alors qu’Amalric pénétra dans la pièce, et son entrée me réveilla.
— Joignez-vous à moi, Amalric, fis-je, convivial.
Aidez-moi à taquiner l’excellent vin de Céphalonie que vous m’avez sorti de
votre
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