Thorn le prédateur
Comme tous les
jeunes garçons de mon âge, j’adorais grimper aux arbres, surtout les hêtres et
les érables, dont les branches poussent très bas sur le tronc. D’autres, comme
le pin parasol, s’élèvent droits comme des piliers, et projettent leurs
premières branches très haut. Mais j’avais inventé un moyen de les escalader
tout de même. J’ôtais la corde entourant mon sarrau, nouais ses deux extrémités
en boucle, et enfilais mes deux pieds dans celles-ci. M’appuyant sur cette
corde accrochée aux aspérités du tronc, je parvenais alors à me propulser vers
le haut, le tronc bien serré entre mes bras, presque aussi aisément que si
j’avais gravi les barreaux d’une échelle.
C’est ce que j’avais résolu de faire cet après-midi-là,
m’étant mis en tête d’atteindre un nid de torcol fourmilier que j’avais repéré.
Émerveillé de la ressemblance de cet oiseau avec le serpent quand ils levaient
la tête en la tortillant doucement, je n’avais jamais observé leurs petits, et
j’étais curieux d’en voir un. Mais un carcajou avait décidé de quitter son
terrier durant la nuit pour se lancer également dans une investigation des
lieux, et nous nous retrouvâmes nez à nez, très loin du sol, l’animal grondant
et montrant les dents à quelques centimètres de mon visage. Je n’avais jamais
entendu dire que le carcajou attaquait l’homme, mais en ces circonstances
particulières, il pouvait fort bien oublier ses scrupules. J’abandonnai donc illico mon projet, et me laissai prudemment glisser le long du tronc.
Je demeurai au pied de l’arbre, et nous nous dévorâmes un
long moment des yeux. J’avais décidé de tuer l’animal, pour deux raisons.
D’abord pour sa jolie fourrure brune, bordée d’une élégante raie jaune clair.
Et puis j’en étais sûr, ce vaurien était certainement celui qui avait si
souvent subtilisé les taupes prises à mes pièges. Mais je ne possédais pas
d’arme, et nul doute que si je quittais le tronc pour aller en quérir une, l’animal
en profiterait pour s’éclipser. Il me vint alors une idée. Je me dévêtis de mon
sarrau, ôtai mes hautes chausses, et bourrai le tout de feuilles du taillis qui
s’étendait au bas de l’arbre. J’appuyai ensuite ce flasque simulacre de ma
personne contre le tronc, me glissai hors de vue du carcajou, et courus de
toute la vitesse de mes jambes, nu comme un ver, jusqu’à l’abbaye. Nombre de
moines en train de travailler aux champs ouvrirent des yeux exorbités en me
voyant ainsi filer devant eux, et Frère Vitalis, qui balayait le dortoir
lorsque j’y fis irruption, poussa un hurlement scandalisé, lâcha son balai et
prit aussitôt la fuite, sans doute pour aller informer l’abbé que le jeune
Thorn, ayant probablement dû ingérer de la poudre de buglosse, avait totalement
perdu la tête.
Je tirai de sous ma paillasse la fronde en cuir que je
m’étais fabriquée, passai mon sarrau de rechange, et rebroussai chemin à la
même vitesse vers mon arbre. Je ne doutais pas que le carcajou s’y trouvât
toujours perché, les yeux fixés sur ma représentation fantoche. N’étant pas
aussi doué que David, je dus m’y reprendre à quatre ou cinq fois avant de
frapper d’une pierre l’animal, assez fort pour le faire basculer de sa branche.
Il tomba en battant l’air de ses membres, et heurta le sol d’un son sourd. Je
l’y cueillis dès son arrivée, lui broyant le crâne à l’aide d’une épaisse
branche d’arbre. La bête pesait allègrement mon propre poids, mais je parvins à
la traîner jusqu’à l’abbaye, où Frère Polycarpe m’aida à la dépecer, et Frère Ignace,
le couturier, à coudre sa fourrure en guise de doublure dans mon manteau
d’hiver.
Il est une autre bête sauvage que personne ne craignait, ne
détestait, ni ne cherchait à tuer pour s’approprier sa peau. C’était un petit
aigle brun qui ne nichait pas dans les arbres, mais sur les saillies de nos
falaises. D’autres rapaces tels les faucons et les vautours vivaient dans le
Cirque de Baume, mais ils étaient unanimement méprisés. Les premiers pour leurs
raids sur la volaille, les seconds par dégoût de ce dont ils se nourrissaient,
et l’aspect repoussant de ces charognards. Le petit aigle au contraire était
très apprécié, ses proies favorites étant les serpents, particulièrement la
svelte vipère d’un noir verdâtre, dont la morsure est le plus redoutable poison
du continent.
Qu’il
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