Thorn le prédateur
te
confierai ta première mission de maréchal. Elle te procurera, tu peux m’en
croire, bien de l’aventure et du plaisir.
37
— Impossible ! m’exclamai-je devant Théodoric, dès
qu’au petit matin il m’eut expliqué ce qu’il attendait de moi. Moi ?
parler à un empereur ? Je serais tellement impressionné que je resterais
muet comme un poisson !
— J’en doute fort, répondit Théodoric d’un ton léger.
Je ne suis peut-être qu’un roitelet, mais que je sache, tu n’as pas
spécialement la langue dans ta poche en ma présence. D’ailleurs, tu es l’un des
rares à oser contester mes décisions. Crois-tu que beaucoup se le
permettent ?
— Cela n’a rien à voir. Comme tu me l’as dit, tu
n’étais pas encore roi lorsque nous nous sommes rencontrés. Nous sommes presque
du même âge. Je t’en prie, Théodoric, réfléchis un peu. Je ne suis qu’un
moutard tout juste sorti du monastère. Un grossier paysan sans éducation. Je
n’ai jamais vu une seule capitale, alors la cour d’un Empire…
— Balgs-daddja ! balaya-t-il, ce qui ne me
mit guère en confiance. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai entendu qualifier
mes remarques de « sottises ».
Il se pencha en avant sur sa table et continua :
— Ce nouveau Léon arrivé au pouvoir n’est rien d’autre
qu’un mioche, lui aussi. Tu m’as expliqué autrefois, Thorn, comment tu avais
servi comme exceptor sous les ordres d’un abbé, te chargeant de sa
correspondance avec d’éminents personnages. Tu sais donc peu ou prou quels sont
les mots, les manières et les artifices de tous ces notables haut placés. Tu
t’es vanté de ton imposture réussie auprès de la noblesse de Vindobona. Eh
bien, ce que tu vas rencontrer dans une cour impériale ne sera pas très
différent de ce que tu as pu connaître auprès de ces dignitaires de province.
Et cette fois, tu n’auras pas à usurper le moindre prestige, puisque tu le
détiendras effectivement. Tu présenteras d’irrécusables lettres de créance, en
tant que maréchal du roi des Ostrogoths. Étant donné que tu parles correctement
le grec, tu seras tout à fait capable de te débrouiller avec le petit empereur
Léon II et le groupe qui l’aide à gouverner. Si j’ai décidé d’envoyer le Saio Soas à Ravenne rencontrer Julius Nepos, c’est qu’il ne parle que le gotique et
le latin. Aussi c’est toi, Saio Thorn, que j’ai choisi pour me
représenter auprès de l’empereur d’Orient. Qu’il en soit ainsi !
J’acquiesçai avec obéissance, et esquissai même un
demi-salut, bien que nous fûmes tous trois assis, Théodoric, Soas et moi-même,
et qu’il ne soit pas de mise de saluer assis. Cette confrontation se déroulait
dans la même petite maison où j’avais déjà par deux fois rencontré Théodoric.
Il aurait pu choisir pour quartier général n’importe quelle grande résidence de
l’intérieur des murailles, mais non, il avait décidé de rester fidèle à
l’humble demeure d’Aurora et de ses parents.
Soas était aussi gris de cheveux et de barbe que l’avait été
Wyrd, et sensiblement du même âge ; du coup, il lui ressemblait beaucoup.
Mais la ressemblance s’arrêtait au physique, car Soas était avare de mots. Il
n’éleva aucune protestation à la mission qui venait de lui être confiée, et ne manifesta
pas de jalousie particulière à ma promotion inopinée au même grade que lui. Et
en dépit de l’immense différence d’âge qui nous séparait, nous gardâmes
toujours l’habitude respectueuse de nous adresser l’un à l’autre par nos titres
respectifs de « Saio ».
Je ne cherchais pas à faire assaut de modestie lorsque
j’avais émis des réserves concernant la mission proposée par Théodoric. Je
l’envisageais en effet avec une réelle anxiété. Mais pour être vraiment honnête,
ma crainte se mêlait à dose presque égale d’une excitation anticipée à l’idée
de ce projet. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé visiter un jour la Nouvelle
Rome de Constantinople, encore moins être admis à la cour impériale, et à plus
forte raison obtenir une audience auprès de l’empereur d’Orient en personne. Je
ressentais un peu ce que j’avais éprouvé lorsque j’avais été exilé du monastère
vers le couvent : un peu d’appréhension, mêlée d’une véritable trépidation
intérieure à l’idée des imprévisibles aventures que je ne manquerais pas d’y
vivre.
— Je n’ai aucune envie
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