Thorn le prédateur
été
élevée parmi les frères, à te voir imiter si bien les garçons.
Elle jeta à son tour une pierre au cochon, et se mit en
devoir de lui courir après. Je pris bonne note de la manière dont elle s’y
prenait. Une fille lance d’un étroit mouvement du bras, un peu restreint et
gauche, et elle court comme si elle avait plus ou moins les genoux attachés. Je
procédai donc ainsi désormais.
Lors des rares occasions où nous n’étions pas, nous autres
novices, accaparées par nos incessantes obligations religieuses, cours ou
autres tâches qui nous étaient assignées, lors de celles, encore plus rares, où
nous étions à la fois libres et débarrassées de la surveillance de nos aînées,
les filles s’amusaient parfois à jouer aux « dames de la ville ».
Elles se coiffaient de mille façons, ornaient leur chevelure de peignes et
d’aiguilles en os, imitant à ravir, selon elles, les volutes sophistiquées de
ce qu’elles s’imaginaient être « le style citadin ». D’un mélange de
suie et de cire, elles soulignaient leurs sourcils et s’allongeaient les cils.
Elles empourpraient leurs paupières à l’aide de baies écrasées, ou les
nimbaient de vert au jus des fruits du nerprun, aussi appelé aulne noir. Elles
se peignaient les lèvres en rouge et coloraient leurs joues au suc de
framboise, à moins que la main de Mère Aethera ne s’en soit déjà chargée.
Elles rembourraient la partie supérieure de leur sarrau ou
de leur robe à l’aide d’étoupe dévidée du fuseau de leurs quenouilles, afin de
s’octroyer une poitrine plus plantureuse. Elles se drapaient et
s’entortillaient dans les bandes de tissu qu’elles parvenaient à dénicher, proclamant
ensuite qu’elles arboraient des tuniques dernier cri ou de somptueuses
dalmatiques de soie incrustées d’or. Elles ornaient leur cou de cerceaux de
broderie, laissaient pendre à leurs oreilles des noisettes et des grappes de
baies lacées en boucle, entouraient leurs coudes et leurs poignets de tresses
de mèche à bougie, tout en rêvant qu’elles portaient des bracelets et des
boucles d’oreilles de perles ou de pierres précieuses.
J’étudiai avec attention ces jeux bruyants et m’y mêlai
bientôt, tâchant de copier au mieux leurs petits artifices. Souvent, les autres
filles insistaient pour prendre en charge ma parure, car étant selon leurs
dires la plus jolie d’entre elles, je méritais de le devenir encore davantage.
Sœur Tilde, de loin la plus directe, déclarait, un brin de nostalgie dans la
voix : « Tes boucles blondes luisent comme de l’or, Thorn, tes
immenses yeux gris illuminent ton visage, et ta bouche est un régal à
contempler… » Ce que j’appris là en termes de maquillage, de coiffure et
d’artifices de beauté devait m’être par la suite très utile, même si je parvins
à pousser ces techniques à un degré d’art et de subtilité infiniment plus
achevé.
Les jeunes filles ne s’en rendaient probablement pas compte,
mais tandis qu’elles jouaient aux « dames de la ville », je
m’ingéniais à copier également leurs gestes, leurs mimiques, leurs poses. Telle
cette lenteur délibérée avec laquelle une femme plie son bras, de manière à
éviter de faire enfler le biceps comme le ferait un homme, lequel accomplit ce
mouvement avec plus de brusquerie et de tension. Également, leur façon élégante
et gracieuse d’élever le bras tout en effaçant l’épaule légèrement vers
l’arrière, ce qui a pour effet de gonfler la poitrine de manière fort
sensuelle. Cet art, quand elles remuent les mains, de conserver toujours joints
l’annulaire et le majeur, afin de donner à leurs mains la fluidité et
l’élasticité du saule. Cette façon qu’elles ont, en relevant la tête, de la
garder légèrement penchée, afin d’inscrire le cou et la gorge dans une ligne
harmonieuse. Cet art de ne jamais vous fixer directement dans les yeux, mais de
vous envelopper d’un regard subtilement oblique ou, selon les circonstances, de
vous toiser avec hauteur, la narine relevée, ou de vous lancer une œillade de
feinte timidité de sous l’ombre de leurs longs cils…
Puisque je devais désormais être une femme, je me mis en
tête de devenir un jour la plus raffinée d’entre elles. Mais même les plus
magnifiques, comme j’allais bientôt l’apprendre, souffrent à certains égards
des mêmes afflictions que la plus pitoyable des souillons. Il s’agit de maux
physiques
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