Thorn le prédateur
quand j’ai su que tu étais arrivé, et pourquoi…
— Je ne vois pas du tout, non, coupa Wyrd.
Pardonne-moi, Calidius, de rouvrir de vieilles blessures. Mais je me souviens
que lorsque ton fils Junius est tombé aux Champs Catalauniques, tu nous as
demandé à tous de ne pas nous lamenter. La mort d’un soldat, as-tu déclaré, est
une chose qu’une armée doit accepter. C’était pourtant ton fils. Pourquoi
maintenant, pour une femme écervelée et un enfant sans défense, dût-il porter
ton prénom… ?
— Uiridus, j’avais et j’ai toujours un autre fils, le
frère cadet de Junius. Il sert ici même, sous mes ordres.
— Je sais cela. L’optio [47] Fabius. Un
fameux gaillard.
— Eh bien, Placidia l’écervelée est sa femme, ma
belle-fille, et son enfant et celui qu’elle porte sont mes seuls petits-fils.
S’ils survivent… Non, il faut qu’ils vivent, ce sont les derniers de ma lignée.
— Je comprends mieux, à présent…, murmura Wyrd,
désormais aussi grave que le légat. Fabius a dû se précipiter à leur rescousse,
courant droit vers la mort à son tour.
— Il l’aurait fait, certainement. Mais par la ruse, je
l’ai fait enfermer au poste de garde avant qu’il n’apprenne l’enlèvement. Il y
est toujours, aussi enragé contre moi que contre les Huns.
— Alors je le répète, je ne vois pas ce qui te
désespère tant, reprit Wyrd. Je déteste avoir l’air sans cœur, mais je sais
qu’un homme peut supporter la perte de sa femme – et peut-être même
l’oublier –, tout au moins le genre d’épouse qu’elle semble avoir été.
Fabius est encore jeune : il existe quantité d’autres femmes, dont beaucoup
seront plus placides, sans doute. Quant aux enfants, c’est la chose au monde la
plus aisée à produire. Ta lignée n’est point menacée, Calidius.
Le légat soupira.
— C’est mot pour mot ce que je lui ai dit. Et
crois-moi, j’ai alors béni les barres de fer qui nous séparaient. Non,
Uiridus : pour je ne sais quelle raison, il s’est entiché de cette femme,
il est gaga du jeune Calidius, et fou de joie à l’idée de la naissance de son
second enfant. Il m’a juré que s’ils mouraient, il saisirait la première occasion
pour s’immoler sur sa propre épée. Et il le fera, crois-moi ! Il est le
digne fils de son père. Je dois récupérer ces otages.
— Tu veux dire que je le dois, souligna Wyrd,
renfrogné. Mais qu’est-ce qui te fait croire que ce Hun dit la vérité ?
Qu’ils sont encore vivants ?
— Chaque fois, il m’a ramené une nouvelle preuve de
vie.
Le légat soupira de nouveau douloureusement, plongea la main
dans la poche de son manteau, et en sortit deux petites choses fines et
blanches, qu’il tendit à Wyrd.
— Des doigts de Placidia. Chaque fois.
Je me détournai pour éviter un irrépressible haut-le-cœur.
Tandis que Wyrd examinait les deux terribles objets, le légat poursuivait,
d’une voix désincarnée :
— Chaque fois que j’en ai reçu un, je suis allé
personnellement trancher deux doigts du misérable esclave que je détiens
confiné dans le pistrinum. Si les négociations doivent s’éterniser d’une
façon ou d’une autre, il poussera la meule avec les coudes.
— Ce sont deux index, murmura Wyrd. Mais celui-ci est
le plus ancien des deux, n’est-ce pas ? Or, on ne sent pas la rigueur
cadavérique. Quant à celui-là, il l’a apporté lors de sa dernière visite. Ce
doigt était encore vivant il y a peu. D’accord. La femme était encore en vie il
y a deux jours. Calidius, fais venir ici cet esclave, avant que tu ne l’émondes
encore davantage.
Le légat hurla : « Paccius ! » et le signifer émergea immédiatement d’une porte du bâtiment pour s’évanouir tout aussi vite,
son ordre pris.
— Il y a une chose que j’ai apprise à propos des Huns,
confia Wyrd pendant que nous attendions. C’est qu’ils n’ont aucune patience.
Une de leurs bandes aurait peut-être rôdé aux abords de la ville, dans l’espoir
de se saisir de quelqu’un. Mais ils n’auraient pas attendu longtemps la chance,
fort mince, de tomber sur les personnes les plus précieuses à prendre en otages
pour faire chanter le clarissimus Calidius au cœur tendre. Ils savaient
qui ils attendaient, à quel moment précis ces personnes se présenteraient, et
qu’elles seraient vulnérables. Il me semble fort étrange, figure-toi, que l’un
des cinq esclaves qui les accompagnaient en ait comme
Weitere Kostenlose Bücher