Thorn le prédateur
d’utile.
— Nihil, confirma Wyrd d’un ton morne. Je vais
devoir attendre que ce Hun revienne jusqu’ici, et le suivre quand il repartira.
Dis-lui, Calidius, que tu accèdes à toutes ses demandes, qu’il reparte vite en
informer sa bande.
— Très bien. Que feras-tu ensuite ?
— Par les lourds pieds de cuivre des Furies, comment le
saurais-je ? Cela mérite plus ample réflexion.
— Et de la préparation. Il va te falloir des guerriers,
des chevaux, des armes… Je te donnerai tout ce dont tu auras besoin.
— Tu ne peux pas. L’empereur lui-même ne le pourrait
pas. Ce dont j’ai besoin, c’est de l’invisibilité d’Albérich et de
l’infaillible chance d’Arion [48] . Comme les Huns, je dois réussir un
enlèvement secret. Mais il me sera bien difficile de fuir dans la forêt en
compagnie d’une femme affaiblie, au dernier stade de la grossesse, et qui plus
est blessée. Que ce soit à pied ou à cheval, nous serons bientôt repris.
Le légat réfléchit, puis déclara :
— Ceci va te sembler aussi dépourvu de cœur que tu
craignais l’être tout à l’heure, Uiridus. Mais peux-tu ramener au moins le
jeune Calidius ?
— Akh… ce serait un projet plus réaliste,
assurément, qui aurait quelque chance de succès. Tu dis qu’il a six ans ?
Il devrait être capable de me suivre. Cependant, ce ne sera pas une mince
affaire d’enlever quelqu’un, fut-ce un enfant, dans un camp aussi bien gardé et
en alerte.
Il y eut un long silence.
Alors, je parlai. Pour la première fois, sans qu’on m’y ait
invité, à contrecœur et d’une petite voix, j’articulai ce seul mot :
« Substitutus. »
Les deux hommes se retournèrent et me regardèrent avec
stupéfaction, comme si j’avais surgi comme par magie d’entre les dalles, sous
leurs pieds. Ils continuèrent à me dévisager d’un air interdit, non parce que
je venais de parler comme eux en latin, ni à mon audace de prendre ainsi la
parole, mais parce qu’ils étaient soudain fort intéressés par ce que je venais
d’ajouter :
— Une substitution, contre l’un des jeunes
charismatiques.
Après un autre intervalle de silence, les deux hommes
cessèrent de me dévisager et leurs regards se croisèrent.
— Par Mithra, quelle ingénieuse idée ! dit le
légat. (Puis il enchaîna, avec toute la bonne humeur dont il était encore
capable.) Lequel des deux est censé être l’apprenti, m’as-tu dit ?
— Par Mithra, Jupiter et Guth réunis, le gamin apprend
vite ! constata Wyrd avec fierté. L’apprenti a du reste déjà effacé une
bonne partie de la misanthropie de son maître. La substitution contre l’un des
charismatiques est en effet une idée ingénieuse. Il te serait difficile de
t’approprier un enfant de la ville ou de la garnison, Calidius.
Le légat reprit, s’adressant cette fois directement à
moi :
— Je n’ai pas encore vu ce troupeau de chapons. L’un
d’eux pourrait-il faire l’affaire ?
— Deux ou trois d’entre eux ont l’âge requis, clarissimus, répliquai-je. Vous seriez cependant le mieux placé pour décider si l’un
d’eux possède une ressemblance suffisante avec votre petit-fils. Le Syrien les
a tous emmenés au bain, mais si vous voulez venir les passer en revue, ils
doivent être rentrés au baraquement, à présent.
— Je gagerais pour ma part qu’ils y sont encore.
Il ajouta à mon intention, non sans une certaine
tendresse :
— On voit bien que tu ne connais pas les bains romains,
jeune homme, si tant est que tu en aies déjà connu.
Wyrd se récria vivement.
— Il n’est pas très correct, Calidius, de payer une
faveur par une insulte. Ce jeune homme est exceptionnellement propre. Comme
moi, Thorn essaie d’aller au bain depuis son arrivée !
— Mes excuses, Torn, concéda le légat. J’aurais moi
aussi besoin d’un bain supplémentaire aujourd’hui, après avoir côtoyé
l’indicible pourriture de cet esclave. Allons-y dès maintenant tous les trois.
Le signifer Paccius nous fera savoir lesquels des pensionnaires du
Syrien y sont déjà passés.
Tandis que nous nous y rendions, je songeai que Calidius
avait mal entendu et mal prononcé mon nom. Je devais bientôt apprendre que les
Romains de Rome sont incapables de prononcer le son « th », même si
une bonne partie de leurs mots, dérivés du grec ou du gotique, le contiennent.
Tout Romain de souche m’appellerait éternellement Torn, et mon nom n’était pas
le seul
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