Titus
à s’ébranler. Elles allaient traverser Ptolémaïs, entrer en Galilée, se diriger vers Jotapata et Gabara, les premières villes, puis vers Tibériade, au bord du lac, dans le royaume d’Agrippa et de Bérénice.
La reine avait gardé les bras croisés, semblant ne pas avoir remarqué Titus qui pourtant était si proche d’elle que leurs corps, leurs visages paraissaient se toucher.
Dans un coin de l’estrade, j’ai vu Cénis, l’affranchie, l’épouse de Vespasien, qui, entourée de ses suivantes, observait Titus et Bérénice.
Du bout des doigts j’ai à nouveau frôlé la main de Titus pour l’avertir. L’infanterie légère auxiliaire et les archers chargés des reconnaissances passaient devant la tribune, ouvrant la marche, puis venaient les légionnaires romains, lourdement armés, suivis par les cavaliers, les pionniers, et enfin les troupes d’élite qui précédaient et encadraient le général Flavius Vespasien et son état-major.
Devant ce grand carré d’hommes et de chevaux où brillaient les armures dorées, on voyait s’avancer des mulets chargés des éléments démontés des machines de guerre, béliers et balistes, catapultes et scorpions. Puis venaient à nouveau des cavaliers et des fantassins d’élite, au milieu desquels aurait déjà dû avoir pris place le légat Titus.
Il ne bougeait pas. Il n’entendait pas les trompettes, les cymbales, les tambours qui rythmaient la marche, ni les cris des troupes qui, au moment où elles s’ébranlaient, levaient leurs armes en hurlant.
Titus semblait ne voir que Bérénice, tendu vers elle comme s’il voulait discerner le bruit de sa respiration. Et cependant, la reine, la tête un peu penchée, ne le regardait pas, fixant l’horizon.
Un instant, pourtant, elle a paru me remarquer. Mais ses yeux se sont vite détournés et je n’ai plus réussi à croiser son regard. Ses yeux m’avaient paru briller en leur centre d’une lueur bleu-vert entourée d’un iris noir.
J’ai vu s’approcher le tribun Placidus qui, d’une mimique, m’invitait à avertir Titus qu’il lui fallait rejoindre ses rangs au plus vite.
J’ai saisi le poignet de Titus. Il a sursauté, me bousculant d’un coup d’épaule, la main sur le pommeau de son glaive court, et j’ai craint qu’avec la promptitude, l’instinct et la violence du soldat il ne me frappe avant même d’avoir compris qui j’étais, ce que je voulais.
Mais tout cela s’est déroulé si vite que ma description ne peut rendre compte du geste de Bérénice qui, dénouant ses bras, a appuyé sa main sur la poitrine de Titus en disant d’une voix sourde :
— Maintenant, c’est le temps de la guerre. Tu dois et tu vas vaincre, légat de Rome !
Levant le bras gauche, elle a montré les troupes, et Titus a découvert que les premières cohortes de la XV e légion approchaient. Il m’a enfin dévisagé, a aperçu le tribun Placidus, et, après un instant d’hésitation, il s’est incliné devant Bérénice.
— Je suis Titus, a-t-il dit, fils de Flavius Vespasien. Nous allons rétablir la paix en Judée, en Galilée, dans ton royaume. Nous allons châtier ton peuple et le soumettre.
— Ne les tue pas tous, Titus, a murmuré Bérénice. Je suis de leur sang et de leur foi.
Titus a paru décontenancé, puis il a quitté l’estrade et pris sa place entre les cavaliers et les fantassins d’élite de la XV e légion.
Je l’ai suivi et ai chevauché près de lui.
Nous avons pénétré en Galilée et j’ai découvert le vrai visage de la guerre. Qui aurait pu écouter la reine Bérénice qui demandait qu’on épargnât son peuple ?
Il résistait. Il nous humiliait.
J’étais aux côtés du tribun Placidus quand nous nous sommes approchés de la ville de Jotapata. Elle était comme un roc, bâtie sur un piton entouré de tous côtés de ravins d’une telle profondeur qu’on ne pouvait même pas en apercevoir le fond. Seule la partie nord de la ville était accessible, mais un haut rempart ceignant toute la cité en interdisait l’accès.
Mais Placidus – et, je l’avoue, j’ai partagé son sentiment – était persuadé qu’il suffisait d’apparaître pour que les Juifs de Jotapata se soumettent ; et comme leur ville était la plus puissante et la plus fortifiée de Galilée, que sa défense était dirigée par ce Josèphe Ben Matthias qui, autrefois, s’était rendu à Rome et dont l’autorité sur son peuple était grande, sa défaite
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