Titus
gardait son rang. Cavaliers et fantassins d’élite entouraient Titus, auprès de qui je chevauchais en compagnie du tribun Placidus.
J’admirais cette force humaine sans laquelle les puissantes balistes, les lourds béliers, les catapultes ne seraient que des assemblages de poutres et de cuir.
Chaque légionnaire était un rouage efficace de la machine à combattre qu’était une légion. Les cavaliers portaient un long coutelas et, à la main, un grand javelot, un bouclier long reposant obliquement sur le flanc du cheval. Dans le carquois suspendu à leur côté, ils disposaient de trois javelots à large pointe, aussi longs qu’une pique. Les soldats étaient aussi chargés que les mulets de bât qui suivaient la colonne. En plus de leurs armes et de leur sac, ils étaient équipés d’une scie, d’une corbeille, d’une pelle et d’une hache, sans oublier la courroie, la faux, une chaîne et trois jours de vivres. Ils marchaient sans parler, mais parfois murmuraient, lèvres serrées, une mélopée cadencée au même rythme que leurs pas, et c’était comme le bruit sourd d’une immense nuée de frelons que rien n’aurait pu arrêter et qui allaient envelopper, assaillir, terrasser tout ce qui vivait.
Lorsque nous sommes parvenus à la frontière de la Galilée, au-delà du port de Césarée, j’ai demandé à Titus le droit d’accompagner le tribun Placidus qui, avec une centaine de cavaliers, devait s’enfoncer dans le pays pour s’assurer qu’aucune troupe juive ne s’apprêtait à attaquer notre colonne en marche.
J’ai découvert cette Galilée fertile et plantureuse, aux doux mamelons. Pas une parcelle de terre n’était laissée en friche. Là s’étendaient des pâturages, ici des vergers où étaient associés toutes sortes d’arbres fruitiers.
Nous pénétrions une contrée qui ressemblait à un jardin et où villes et villages étaient semés dru. Nous avions reçu l’ordre de ne pas les attaquer. Le temps viendrait, avait dit Titus. Flavius Vespasien avait sûrement établi un plan de campagne qu’il ne s’agissait pas de devancer.
Mais il y avait ces hameaux, ces paysans qui travaillaient dans leurs champs en compagnie de leurs femmes et de leurs enfants. Qui pouvait empêcher les soldats de briser les portes, de piller les maisons, de s’emparer des victuailles, de faire ripaille, et, pour finir, de tuer les hommes et les enfants, de violer les femmes, de ne laisser vivants que ceux qui paraissaient assez vigoureux, assez beaux, assez jeunes pour être vendus comme esclaves ?
On les enchaînait. Ils devaient marcher entre les chevaux et courir quand ceux-ci prenaient le trot ou le galop.
On tuait d’un coup de javelot ceux qui trébuchaient, le souffle coupé, les jambes mortes.
Je me retournais. Je regardais leurs corps abandonnés qui dessinaient la trace de notre passage.
Nous avons rejoint Titus au moment où, à la tête de la XV e légion, il entrait dans Ptolémaïs.
De part et d’autre de la grand-rue conduisant au port et au palais du préfet de la ville, là où s’était installé Flavius Vespasien, une foule d’hommes en armes se pressaient et nous acclamaient.
Je n’avais jamais vu, même à Rome, un tel grouillement. Je reconnaissais les enseignes et les aigles des deux légions, la V e et la X e , qui étaient arrivées d’Achaïe après avoir traversé l’Hellespont, les provinces d’Asie et de Syrie. Elles étaient accompagnées de vingt-trois cohortes et de cinq escadrons de cavalerie. Leurs camps avaient été dressés aux portes de la ville et des milliers de soldats, de cavaliers, de frondeurs, d’archers, venant de tous les petits royaumes voisins, alliés de Rome, s’étaient déversés dans Ptolémaïs et ses environs.
Je dévisageais ces hommes qui nous entouraient au moment où nous mettions pied à terre devant le palais. Ils ressemblaient à des fauves qui s’impatientent parce qu’ils sentent la chair vivante et veulent se précipiter dans l’arène.
Ils ont tenté de s’emparer de nos quelques prisonniers afin de les crucifier, de les écarteler, et nous avons dû repousser ces bêtes féroces.
Puis nous avons gravi les marches au sommet desquelles nous attendait Flavius Vespasien.
Parmi la foule des tribuns, des légats, des centurions qui saluaient Titus au moment où son père le pressait contre lui, j’ai distingué une femme altière, aux cheveux courts, un grand voile noir enveloppant ses épaules et
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