Titus
légionnaires nous suivirent.
On égorgea les sentinelles endormies.
Je n’ai pas tué. D’autres m’avaient devancé tant leur hâte était grande.
Nous avons ouvert les portes des remparts et l’armée entière est entrée dans la ville.
Le dieu des Juifs voulait-il les punir, et de quelle faute ?
Mais le brouillard ce jour-là était épais, étouffait les bruits, recouvrait les rues et les toits comme pour dissimuler notre conquête.
Et quand les Juifs enfin se réveillèrent, toute la ville était prise.
Ce fut l’heure de la vengeance et du massacre.
Les légionnaires, les auxiliaires arabes et syriens, les soldats du roi Agrippa et de la reine Bérénice égorgèrent, repoussèrent les habitants vers le bas de la ville où ils s’écrasèrent dans les ruelles, et, glissant le long de la pente, furent submergés et emportés par le flot de mort qui dévalait de la citadelle.
Les soldats juifs de la garde de Josèphe résistèrent dans l’une des tours de la ville, puis se rendirent en tendant leur gorge aux Romains.
D’autres, refusant de céder, s’entretuèrent pour ne pas tomber vivants entre nos mains.
Certains s’enfoncèrent dans les cavernes, les grottes, les souterrains qui creusaient le sous-sol de la ville.
On les y traqua. Et un Juif ayant tué un centurion – la seule victime romaine de l’assaut –, on n’épargna plus personne, quel que fut l’âge des victimes.
Il ne survécut qu’un millier d’enfants et de femmes, et l’on dénombra plus de quarante mille cadavres.
C’était le 20 du mois de juillet de la treizième année du règne de Néron.
Les fortifications de Jotapata brûlaient, les soldats forçaient les prisonniers, avant de les égorger, à raser la ville.
Je regardai les flammes se mêler aux tourbillons de poussière qui s’élevaient au-dessus des maisons que l’on démolissait.
Je marchai parmi les ruines, m’arrêtant devant chaque cadavre. Des soldats le retournaient, attendant que, d’un geste, je fisse signe qu’on pouvait l’abandonner, passer au suivant.
Le déserteur m’accompagnait.
Flavius Vespasien m’avait chargé de découvrir, mort ou vif, Josèphe Ben Matthias.
7
J’ai dévisagé des cadavres trois jours durant sans retrouver celui de Josèphe Ben Matthias.
La vision de ces corps sur lesquels je m’étais penché m’avait accablé.
J’avais vu le grouillement des mouches noires aux reflets verts sur les gorges tranchées, les crânes fendus, les ventres crevés des femmes, les poitrines défoncées des vieillards surpris dans leur sommeil.
Je sentais que la mort était une peste contagieuse.
Je rentrais au camp submergé par le dégoût des hommes, qu’ils fussent juifs, arabes, syriens ou citoyens de Rome.
Je rêvais de me retirer dans ma villa de Capoue, celle-là même où mon ancêtre Gaius Fuscus Salinator avait fini ses jours.
J’avais besoin de solitude. Je songeais à Sénèque qui avait vécu au désert, à ces Juifs qu’on appelait esséniens et qui vivaient reclus dans des cavernes, enfermés dans le silence et la méditation, à ces disciples de Christos qui savaient eux aussi s’isoler pour prier.
Mais Vespasien exigeait que je lui rendisse compte de mes recherches.
Il maugréait en apprenant qu’elles étaient vaines. Il expliquait une nouvelle fois aux tribuns, aux légats, à Titus, qu’il voulait montrer aux Juifs de Jérusalem le corps de Josèphe, mort ou enchaîné. Les déserteurs juifs et les espions assuraient que le prestige de Josèphe était immense et que la résistance qu’il avait animée à Jotapata l’avait encore accru. Son décès ou sa capture conduiraient les Juifs à capituler et l’on éviterait ainsi d’avoir à se battre pour Jérusalem, cette ville sacrée, fortifiée, qu’on ne pourrait conquérir qu’après un long siège et d’âpres combats.
— Je veux Josèphe ! répétait Vespasien, tourné vers moi. Creuse la terre, explore les cavernes, les souterrains. Il n’a pas pu fuir Jotapata, et aucun dieu ne l’a emporté dans les airs. Trouve-le !
Au quatrième jour, dans les ruines de la ville, près de la forteresse, j’ai vu s’avancer vers moi deux légionnaires qui poussaient devant eux une femme aux cheveux si longs qu’ils lui couvraient la poitrine.
Dès qu’elle m’aperçut, elle s’agenouilla, criant que si je lui promettais la vie sauve elle me livrerait Josèphe Ben Matthias, avec qui elle était restée
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