Titus
cachée trois jours durant.
Je me suis assis près d’elle, dans la poussière. J’entendais le bourdonnement des grosses mouches voletant d’un cadavre à l’autre.
— Si tu parles, je préserve ta vie, lui ai-je dit. Sinon, les bourreaux te brûleront jusqu’à ce que tu hurles ce que tu sais.
Elle commença à se confier d’une voix saccadée, haletante.
Je l’ai interrompue. J’ai ordonné qu’on lui donne à boire. Puis je me suis penché vers elle et l’ai écoutée.
Josèphe, au moment où nous occupions la ville, avait plongé dans une profonde citerne sur le flanc de laquelle s’ouvrait une grotte spacieuse, invisible à ceux qui regardaient d’en haut. La femme s’y trouvait en compagnie de quelques personnalités de la ville qui avaient emménagé dans ce lieu et y avaient entassé des provisions.
Josèphe s’était assis près d’elle. Le lendemain, il lui avait confié qu’il avait eu dans la nuit une inspiration qui ne pouvait lui venir que de Dieu.
Il avait offert à Dieu, avait-il confié à la femme, une prière dont elle me rapporta chaque mot : « Puisqu’il te plaît de châtier cette nation juive que tu as créée, et que la Fortune passe toute du côté des Romains, puisque tu as choisi mon esprit pour annoncer l’avenir, je vais me rendre de mon plein gré aux Romains. J’accepte de vivre, mais je te prends à témoin que je vais quitter cette grotte non pas comme un traître, mais comme ton serviteur. »
La voix de la femme a tremblé en me répétant cette prière de Josèphe.
— Il voulait seulement vivre, échapper à la mort ! a-t-elle crié.
Elle avait averti ses compagnons qui s’étaient indignés, avaient accusé Josèphe de refuser de mourir en combattant, de préférer la servitude à la mort. Et ils avaient menacé de le tuer : « Tu mourras en général des Juifs, si c’est volontairement, lui avaient-ils dit ; en traître, si c’est de force ! »
— Il nous a parlé durant tout le jour, a continué la femme, pour nous convaincre que le suicide était un acte contre nature pour tous les êtres vivants, et impie à l’égard de Dieu qui nous a créés. Il est allé des uns aux autres, répétant : « Ceux dont la folie criminelle a armé la main contre eux-mêmes, ceux-là, c’est le coin le plus obscur de l’Hadès qui reçoit leur âme, et Dieu leur père vengera sur leurs descendants les crimes des parents ! » Mais aucun de nous ne s’est laissé convaincre. Les hommes se sont jetés sur lui comme pour le tuer. Il s’est défendu mais eux n’ont pas osé l’abattre, tant son prestige était encore grand.
La femme a caché son visage dans ses paumes, continuant à parler, à se lamenter, à regretter de ne pas avoir dit à ses compagnons que Josèphe s’apprêtait à les tromper, à les trahir, quand il leur avait proposé de se tuer les uns les autres.
Il leur avait dit : « Puisque nous avons décidé de mourir, eh bien, tirons au sort l’ordre d’égorgement ! Que celui qui tirera le premier numéro tombe sous le bras de celui qui aura le numéro suivant. Ainsi, le sort nous atteindra tous successivement sans que personne meure de sa propre main ! »
Elle s’est tout à coup dressée, s’appuyant à mes épaules, hurlant que Josèphe avait obtenu le dernier numéro, et les autres, convaincus qu’il se soumettrait à la règle choisie, avaient commencé à s’égorger, l’un tuant l’autre.
— J’ai su, à son regard, qu’il avait triché, m’a dit la femme. Il allait rester vivant. C’est pour cela que je n’ai plus voulu mourir et que je me suis enfuie.
Elle s’est effondrée en pleurant, disant :
— Il doit être vivant dans la grotte, au milieu des cadavres. Peut-être n’a-t-il pas tué l’homme qu’il devait égorger et l’a-t-il convaincu de survivre avec lui ?
Je l’ai aidée à marcher et elle m’a conduit jusqu’à la citerne.
J’ai crié :
— Josèphe Ben Matthias ! Je suis Serenus, chevalier au service du légat Titus et du général Flavius Vespasien. Ils te promettent la vie sauve. Rome sait se montrer généreuse envers ceux qui l’ont combattue en braves. Et tu as été brave, Josèphe. Le général Vespasien et Titus reconnaissent en toi un soldat valeureux.
Au bout de quelques instants, j’ai vu s’avancer Josèphe Ben Matthias, le général des Juifs de Galilée.
8
Dès le premier regard, j’ai su que Josèphe Ben Matthias
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