Titus
prononçais ce nom, Mara s’étonna : Bérénice, m’expliqua-t-elle, s’était rendue plusieurs fois à Alexandrie. Elle avait rencontré le préfet Tibère Alexandre et ce Ben Zacchari, le plus riche des Juifs d’Égypte.
Ainsi, la Fortune nouait autour de moi des fils que j’espérais un jour, sans savoir ni quand ni comment, serrer dans ma main comme on empoigne la nuque d’une femme qu’on tient sous soi.
Souvent, en retrouvant les grandes salles du palais, en m’allongeant près des tables dressées pour les banquets qu’offraient le roi Agrippa et la reine Bérénice, j’éprouvais un sentiment de gêne.
Je pensais à ces milliers de Juifs – plus de cinquante mille morts pour défendre leurs villes de Jotapata ou de Japha –, à ces femmes et à ces enfants voués à la servitude, à celles et à ceux qu’on avait égorgés et éventrés après les combats parce qu’un peuple rebelle à Rome se devait d’être châtié.
Je regardais Bérénice couchée près de Titus, Agrippa qui faisait des grâces à Vespasien et à Cénis.
Le roi et la reine étaient juifs, pourtant, tout comme Tibère Alexandre, Josèphe ou Ben Zacchari, mais ils avaient abandonné leur peuple avec de bonnes raisons, en invoquant la sagesse et leur dieu.
Était-ce là un noble destin ?
Parfois je soupçonnais Josèphe d’être le plus habile des menteurs, le plus rusé des diseurs de prophéties, qui, pour sauver sa vie, avait promis à Vespasien l’Empire, et ce bon et vieux général, grisé, offrait à son prisonnier des vêtements, des mets raffinés, une vaisselle de prix.
Et lorsque les Grecs de Césarée, qui haïssaient les Juifs, réclamaient à Vespasien la tête de Josèphe, qu’ils défilaient en exigeant qu’on jugeât et crucifiât le général des Juifs – et si les Romains s’y refusaient, qu’on le leur livrât, à eux, les Grecs –, Vespasien se taisait, faisant mine de ne rien voir, de ne rien entendre.
Josèphe était celui qui lui avait révélé son ambition, son avenir. Il fallait donc qu’il vécût.
Tous les autres Juifs, en revanche, pouvaient et devaient être tués.
Devant le port de Joppé où de nombreux Juifs s’étaient réfugiés, se croyant à l’abri sur leurs bateaux, j’ai vu le vent du nord se lever, briser les navires, et nos soldats, l’arme au poing, attendre sur le rivage afin de tuer ceux que les vagues n’avaient pas engloutis.
Et bientôt la mer fut rouge de sang, et la côte jonchée de cadavres.
Il n’empêche : quelques jours plus tard, dans le palais de Césarée, la reine Bérénice frôlait de ses voiles et de son corps Titus qui rentrait de Joppé.
Il n’a passé que peu de temps à Césarée, car il était chargé par son père de réduire les villes de Tarichée et de Tibériade, sur les bords du lac de Génézareth.
Les Juifs s’étaient rassemblés dans la plaine, hors des villes, comptant sur leur nombre pour écraser les six cents cavaliers qui entouraient Titus.
J’étais l’un d’eux et je vis devant moi, à faible distance, cette mer d’hommes en armes qui s’avançaient vers nous en criant. Alors Titus a gravi un rocher et s’est adressé à nous :
— Romains, car il est juste pour commencer mon allocution de vous rappeler votre race afin que vous sachiez qui vous êtes et qui nous allons combattre. Notre bras, rien, jusqu’à ce jour, dans le monde entier, n’a pu lui échapper ; cependant, les Juifs, il faut leur rendre cette justice, n’ont pas été jusqu’à maintenant découragés de se faire battre… Regardez-les – il avait montré la foule au loin –, ils sont si nombreux ! Mais c’est le courage qui gagne les guerres, même avec des effectifs restreints, et non le nombre… Les Juifs se battent pour leur liberté et leur patrie, mais qu’y a-t-il de plus important pour nous que la gloire et la volonté ?
Au fur et à mesure qu’il parlait, je frémissais à l’unisson des autres cavaliers, et à la fin nous nous sommes tous élancés, et nous avons culbuté les Juifs, et quand la plaine entière fut couverte de tués, les survivants se dispersèrent et s’enfuirent dans la ville.
Alors Titus cria :
— C’est le moment ! Qu’attendons-nous, mes compagnons d’armes, puisque la divinité nous livre les Juifs… ? Acceptez la victoire qui vous est offerte !
Il s’est élancé vers le rempart, le contournant, entrant dans le lac, et nous l’avons suivi dans la
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