Titus
Titus de conspirer contre lui. N’avais-je pas été l’ami de Sénèque ? Était-il vrai que Flavius Vespasien traitait comme un hôte de marque ce général juif qui avait combattu les légions romaines et les avait tenues en échec pendant près de deux mois à Jotapata ? Et Titus était-il l’amant de la reine Bérénice ? Pourquoi faire la guerre aux Juifs, les vaincre, si on écoutait leurs prophéties, si on mettait des femmes juives dans sa couche, si même on respectait leur dieu, si, comme Titus l’avait fait, on vantait leur courage, prétendant qu’ils combattaient pour leur liberté et leur patrie ?
On me chuchota :
— Néron se défie donc de Vespasien, de Titus et de toi, Serenus.
L’empereur avait constitué une légion de géants composée de soldats de plus de six pieds, qu’il avait appelée la « Phalange d’Alexandre », mais Vespasien et Titus, en faisant durer la guerre en Galilée et en Judée, l’empêchaient de déployer son grand dessein vers l’Indus.
Néron n’était pas homme à accepter que l’on s’opposât insidieusement à ses projets, me répétait-on.
On voulait m’effrayer, faire de moi un délateur.
On s’interrogeait sur ce général juif – Josèphe, n’est-ce pas ? – qui avait autrefois été reçu par Poppée, auquel Néron lui-même avait accordé des faveurs, la libération de rabbins. Ce Josèphe avait donc promis l’Empire à Flavius Vespasien ? Et quel était au juste le jeu de Bérénice ? Les Juifs voulaient-ils conquérir le pouvoir à Rome ?
La peur commençait à me gagner.
Je découvrais que les espions grouillaient autour de Vespasien et de Titus, que rumeurs, accusations, calomnies infestaient l’entourage de Néron.
Je reconnus Sporus et Pythagoras, qui se livraient avec lui à toutes les perversions, l’un « épouse », l’autre mari de l’empereur. Et je vis, les frôlant de leurs corps parfumés et lisses, de jeunes Grecs dont on ne devinait pas s’ils étaient filles ou garçons. Mais je savais que, pour Néron, cela importait peu.
La Bête aimait à se rouler dans l’auge des vices, et il fallait chaque nuit en inventer de nouveaux afin que l’empereur pût atteindre à cette jouissance extrême dont il disait qu’elle inspirait son art.
J’ai approché Néron.
Il était allongé, le front ceint par une couronne olympique faite de feuilles d’olivier et de laurier. Il pinçait les cordes de sa cithare et chantait d’une voix douce qui semblait ne pas lui appartenir, tant son visage et son corps étaient lourds, enflés, laids.
Il mit son émeraude sur son œil droit, puis sur le gauche, et m’observa :
— C’est Vespasien qui t’envoie ?
J’ai répondu que j’apportais à l’empereur du genre humain, de la part du général de ses légions, l’annonce des victoires en Galilée et en Judée, et l’envoi de six mille esclaves pour le percement de l’isthme de Corinthe dont Flavius Vespasien savait qu’il était l’un des grands projets de l’empereur.
Le visage de Néron exprima le dégoût.
— Six mille esclaves, et combien de Juifs a-t-il épargnés ?
Il a fermé les yeux, dit qu’on voulait l’empêcher d’unir Rome à l’Orient, d’aller plus loin qu’Alexandre le Grand, mais qu’il était le protégé des dieux et que tous ceux qui s’opposaient à lui périraient.
J’ai attendu qu’il demande à ses prétoriens germains de m’entraîner et de m’égorger.
On m’avait dit que depuis son arrivée en Grèce, il y avait déjà plus d’une année, Néron avait chaque jour ordonné des meurtres ou contraint des citoyens de Rome au suicide.
J’ai baissé la tête, mais, tout à coup, il s’est mis à chanter.
Je l’ai regardé.
Il paraissait en proie à une émotion sincère, récitant d’une voix tremblante :
Épouse, mère et père, tous m’ordonnent de mourir
puis, sur un ton plus léger, ce vers dont les sonorités me touchaient :
En bougeant brille le cou de la colombe de Cythère.
Sans doute a-t-il perçu que j’étais sensible à sa voix et à ses vers. Il s’est penché et m’a interrogé :
— Connais-tu plus grand artiste que moi ?
Que pouvais-je faire ?
Je me suis répandu en éloges. J’ai évoqué sa voix céleste, son inspiration divine, j’ai dit qu’il était à la fois Hercule et Apollon. J’ai clamé :
— Ô voix sacrée ! Heureux qui peut t’entendre !
Il a souri cependant que
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