Titus
ville de Tibériade, et ce fut le grand massacre.
Ceux qui y avaient échappé gagnèrent des embarcations et s’éloignèrent des berges du lac.
Mais Titus – puis Vespasien qui nous avait rejoints – fit construire des radeaux sur lesquels montèrent nos légionnaires. Et bientôt le lac à son tour fut rouge de sang et couvert de cadavres.
Je n’étais plus mêlé à l’action. L’ivresse du combat et du sang avait cessé de m’emporter.
Je voyais tout ce rouge, ces corps. Je pensais au palais d’Agrippa et de Bérénice, à l’or et aux tentures de soie, aux tapis, aux banquets somptueux, aux femmes qui s’offraient, à Bérénice que Titus allait retrouver.
J’avais, comme après boire, la nausée.
Et j’ai eu honte quand j’ai entendu Vespasien ordonner d’exécuter les vieillards et les personnes impropres à la guerre.
J’entendais les cris de ceux qu’on égorgeait.
Je vis Vespasien passer parmi les prisonniers, choisir lui-même six mille jeunes gens robustes. Il les destinait à Néron : ils participeraient aux travaux de creusement de l’isthme de Corinthe. Les autres, près de trente mille, il les fit vendre, excepté ceux qui appartenaient au royaume d’Agrippa.
Ceux-là, il les offrit au roi dont j’appris qu’il les fit vendre à son tour.
J’ai pensé aux disciples de Christos. Ils m’avaient assuré que, selon leur foi, tout homme, qu’il fut juif ou citoyen romain, ou encore esclave, portait en lui une braise sacrée issue de Dieu.
Et Christos avait été crucifié comme l’avaient été les esclaves rebelles de Spartacus.
Puis il était ressuscité parce que le plus humble des hommes pouvait être sauvé.
Comment échapper à l’horreur de la guerre, de la servitude, sans croire à Christos ?
J’ai prié ce dieu qui triomphait de la mort.
Moi qui, depuis des mois, marchais parmi les cadavres, moi qui avais vu le sang rougir et la mer et le lac, j’avais besoin de l’espérance que Christos apportait aux hommes.
Je voulais croire que tous ceux dont j’avais vu les corps martyrisés, alors que leur seule faute était d’appartenir à un peuple vaincu, renaîtraient un jour.
Christos seul, à rebours de toutes ces divinités dont on dressait et honorait les statues dans les villes de l’Empire, les camps des légions, n’exigeait pas de sacrifice.
Il ne fallait égorger devant lui ni homme, ni enfant, ni animal. Et, pour faire partie de ses fidèles, il n’était plus nécessaire de tailler la peau de son sexe.
Celui qui n’était pas circoncis pouvait prier Christos.
Je lui ai demandé de faire ressusciter tous les morts.
J’ai sollicité son pardon, car j’avais participé à ces combats.
Je me suis ainsi isolé pendant plusieurs jours, comme s’il me fallait rejeter hors de mon corps tout ce que j’avais vu et fait à Jotapata, à Tarichée, à Tibériade.
Un matin, un courrier m’a apporté un ordre de Flavius Vespasien.
Je devais me rendre auprès de l’empereur Néron pour lui annoncer les victoires remportées par ses légions et l’arrivée prochaine de navires chargés de six mille esclaves juifs : le butin offert par le général Flavius Vespasien à son empereur.
J’allais donc côtoyer à nouveau celui que les disciples de Christos appelaient la Bête ou l’Antéchrist.
DEUXIÈME PARTIE
10
J’avais connu en Galilée les massacres qui accompagnent la guerre, mais j’avais oublié la cruauté, l’ambition et la jalousie, le vice, les perversions, la délation, la lâcheté et la peur qui imprégnaient comme autant de poisons mortels la cour de Néron.
Je les ai retrouvés sitôt entré dans le palais de Corinthe où résidait l’empereur.
Les prétoriens de garde, le glaive à demi tiré du fourreau, me dévisagèrent. Leurs centurions, des Germains aux yeux de glace, me questionnèrent. Et je savais qu’il eût suffi d’un regard de Néron ou de son préfet du prétoire, Tigellin, pour qu’on m’égorgeât. On me laissa enfin pénétrer dans les grandes salles où se pressaient les affranchis de Néron, Epaphrodite, Phaon, son épouse, Statilia Messalina, et son intendante des plaisirs, Calvina Crispinilla.
Ils m’entourèrent.
J’arrivais de Judée. Pourquoi la guerre se prolongeait-elle ? Les Juifs étaient-ils plus valeureux que les soldats de Rome ?
On chercha à m’inquiéter.
Néron soupçonnait l’entourage de Flavius Vespasien et de
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