Titus
l’a écouté et le traite en hôte plus qu’en prisonnier.
— Je n’aime pas les prêtres juifs, a bougonné Tibère Alexandre. Ce sont des serpents. Ils ensorcèlent ceux qu’ils veulent perdre. Celui-là cherchait à sauver sa vie. Il a flatté Vespasien. Mais, pour être empereur, il faut le vouloir avec tout son corps, et non pas se contenter de la prophétie d’un Juif. Je te le demande, Serenus : Vespasien saura-t-il vouloir ?
— Si les soldats le veulent, ai-je murmuré. Et donc si tu le veux, Tibère.
Tibère s’est éloigné comme s’il voulait masquer son visage dans la pénombre.
Je m’étonnais de ma propre audace, des mots qui jaillissaient de ma bouche.
J’ai dit que si l’une des légions, et d’abord celle d’Égypte, se prononçait en faveur de Vespasien, toutes les autres, celles de Judée, de Syrie, du Danube, suivraient. Mais il fallait que quelqu’un commence.
— Tu connais l’importance de l’Égypte, Tibère. Sans le blé de la vallée du Nil, Rome meurt de faim.
Des esclaves sont entrés, apportant des lampes, des torches, des chandeliers. Tibère Alexandre est sorti de l’ombre.
— Je parlerai aux soldats, a-t-il murmuré, les lèvres remuant à peine, les mâchoires serrées.
Il a lancé des ordres. Il voulait qu’une trirème soit prête à appareiller dès le lendemain matin.
— Tu partiras pour Césarée. Tu diras à Vespasien que les soldats de la légion d’Égypte le choisiront le 1 er juillet comme empereur.
Il restait donc sept jours à Vespasien pour convoquer les tribuns des autres légions et les inviter à imiter celle d’Égypte.
— Qu’il ne doute pas de moi, dis-le-lui, Serenus. Je ne suis pas un prophète juif, mais préfet de Rome. Je fais serment d’agir comme je te l’ai dit.
Il a tendu le bras.
J’ai murmuré les mots de Josèphe Ben Matthias :
— « Le sauveur viendra de Judée. »
Et je me suis souvenu de Toranius, le chrétien, qui avait prononcé la même phrase pour annoncer non pas la venue d’un nouvel empereur, mais celle de son dieu Christos, crucifié et ressuscité en Judée.
19
Je me suis assis près de Josèphe Ben Matthias au bout de la jetée du port de Césarée.
Il se tenait la tête baissée, le menton sur la poitrine, le corps tassé. On eût dit un vieillard, las de se tenir droit. Il s’est tourné vers moi. Son visage était blafard, son regard incertain. J’étais stupéfait. Je ne reconnaissais pas l’homme fier et assuré que j’avais côtoyé depuis mon arrivée à Césarée, trois jours auparavant.
C’est Josèphe qui m’avait accueilli dans le palais de Vespasien.
Les tribuns et les centurions qui se pressaient dans l’antichambre s’étaient écartés pour le laisser passer.
J’avais été surpris de la déférence avec laquelle ils le saluaient. Cet homme avait combattu contre eux, résisté durant des semaines, ébouillanté leurs soldats. Il était leur prisonnier. Et il s’avançait parmi eux d’un air souverain.
Des esclaves le suivaient, portant les longues chaînes qui cerclaient encore ses poignets et ses chevilles. On oubliait ses liens, qu’il exhibait comme une sorte de parure.
Il s’était immobilisé devant moi, avait croisé les bras, attendu quelques instants, comme pour laisser aux témoins de notre rencontre le temps de se rapprocher afin d’entendre nos propos.
Il m’avait salué en levant un peu sa paume ouverte.
— Tu arrives d’Égypte, Serenus. On me dit – il avait souri avec suffisance – que tu as rencontré le préfet Tibère Alexandre. Je sais que les soldats de sa légion refusent de reconnaître l’autorité de Vitellius. Confirmes-tu tout cela ? Tibère fera acclamer, le 1 er juillet, le nom de Vespasien par les cohortes. Voilà ce qu’on m’a rapporté ce matin même.
Il avait regardé autour de lui et le ton de sa voix, sa suffisance, sa prétention m’avaient irrité.
— Puisque tu sais, avais-je répliqué, il est inutile que tu m’interroges et que je te réponde.
Il avait paru ne pas m’entendre.
— J’ai reçu un courrier de ton ami Yohanna Ben Zacchari, qui est aussi le mien. Ce message est arrivé quelques heures avant toi. Ben Zacchari a été reçu avec son ambassade par le préfet Tibère.
Il s’était tourné vers les centurions et les tribuns.
— Savez-vous pourquoi un Romain, un préfet de l’Empire, un soldat de Rome ne peut accepter d’obéir à Vitellius ? Cet homme
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