Titus
possession d’un empire.
Peut-être les vices, les perversités, la cruauté, la débauche dans lesquels se vautraient les empereurs venaient-ils de leur déception, de leur amertume à découvrir que, s’imaginant maîtres du monde, ils ne possédaient rien, qu’ils étaient bien plus démunis qu’un jeune esclave au phallus tendu par le désir.
Vespasien a posé la main sur l’épaule de Ben Matthias.
— Cet homme, a-t-il commencé en montrant les chaînes qui serraient les poignets et les chevilles de Josèphe, est encore dans les fers. Il a été l’un de nos ennemis les plus résolus. L’un de ses archers m’a même blessé. Et chacun d’entre vous sait que bien des meilleurs de nos soldats sont morts dans le siège de la ville de Jotapata qu’il a longuement défendue.
Vespasien a fait quelques pas, s’arrêtant devant les tribuns, puis face à Bérénice :
— Son courage et sa volonté ont montré que le peuple juif est digne de notre respect. Rome sait reconnaître la valeur de ses ennemis, qui deviennent souvent ses alliés. Et Josèphe Ben Matthias, général des Juifs, prêtre de la première classe sacerdotale au Temple de Jérusalem, est l’un d’eux. Depuis le jour où il s’est rendu, il n’a cessé de me prédire mon accession à la dignité impériale. Néron vivait encore. Il a osé dire à haute voix ce que son dieu lui annonçait. Aujourd’hui, la prophétie est réalisée. J’ai accepté le choix des dieux et des légions. Mais il est choquant que l’homme qui m’a annoncé ce destin le premier endure encore la condition d’un prisonnier de guerre et le sort d’un enchaîné. J’ordonne qu’on le libère de ses chaînes.
Josèphe a incliné la tête, et sans doute s’apprêtait-il à remercier Vespasien quand Titus s’est avancé.
— La justice exige, père, que Josèphe soit délivré de l’outrage en même temps que des fers. Il faut que tu ordonnes non seulement qu’il soit libéré de ses chaînes, mais que, comme dans l’antique tradition, celles-ci soient brisées afin qu’on sache que la peine subie est effacée et que personne jamais ne puisse en faire état contre lui.
Vespasien a donné son accord et un soldat a brisé les chaînes en quelques coups de maillet.
Josèphe Ben Matthias a montré ses poignets à Vespasien, paumes retournées et ouvertes.
— Puis-je porter le nom de famille de l’empereur, puisque je te dois la vie et la liberté ? a-t-il demandé.
— Je te salue, Flavius Josèphe ! a répondu Vespasien.
J’ai suivi Josèphe alors qu’il traversait les salles du palais. Les soldats y côtoyaient les notables et les plus riches habitants de la ville.
J’étais étonné que Josèphe s’éloignât ainsi au lieu de rester aux côtés de Vespasien et de Titus, de Bérénice et d’Agrippa.
Je l’avais vu profiter, pour s’éclipser, de l’arrivée de Mucien, gouverneur de Syrie, qui, entouré de centurions, avait annoncé à Vespasien que toutes les cohortes et toutes les villes de sa province avaient prêté serment au nouvel empereur, et que lui, Mucien, était prêt à prendre le commandement des troupes et à se rendre en Italie pour chasser de Rome Vitellius et ses soldats.
Nul ne semblait avoir remarqué le départ de Josèphe.
Il avait traversé la ville parcourue par des cortèges de soldats qui acclamaient le nom de Vespasien. On l’avait interpellé, entouré, menacé, insulté : « Tu es juif, toi ! » lui avait-on crié. Des centurions l’avaient protégé, repoussant les soldats. Je les avais entendus conseiller à Josèphe de regagner le palais. Les rues de Césarée ne seraient jamais sûres pour un Juif, avaient-ils ajouté.
Mais Josèphe avait poursuivi sa route jusqu’au port.
Les quais étaient déserts. Des soldats gardaient les trirèmes qui, le lendemain, conduiraient à Alexandrie Vespasien, Titus, Bérénice et Agrippa. Josèphe devait être du voyage et je pensais les accompagner.
Qui tenait le grenier du Nil tenait Rome. Vespasien le savait.
Josèphe s’était engagé sur la jetée et assis à son extrémité, face à la mer aussi lisse qu’un miroir.
Le ciel constellé s’y reflétait, et la lumière dense et pierreuse de la nuit s’y brisait en éclats brillants.
Je me suis assis près de Josèphe, et la tristesse de son regard m’a à la fois étonné et ému.
— Le sauveur est venu de Judée comme ton dieu te l’avait annoncé et comme tu l’avais
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