Titus
confessent et se repentent. Mais ces cœurs de fer ne déposeront jamais les armes, alors que c’est la seule issue. Ils sont indifférents à la souffrance de leur peuple et à la beauté sacrée du Temple. Ils ont oublié que chacune des offrandes qu’il contient est l’acte de foi d’une nation ! Qui voudrait que les flammes dévorent tout cela ? Qui désire que tout cela disparaisse ? Qu’est-ce qui mérite davantage d’être préservé ?
Il rouvrit les yeux, me fixa.
— Mais ce sont des cœurs desséchés et plus insensibles que la pierre. Ils ont répandu le sang dans le Temple. Ils l’ont souillé. Ils s’enfonceront dans la folie de la guerre. Et le Temple sera détruit. Les hommes en armes deviennent fous. Ils aiment la mort. Ils aiment le feu. Ils courent vers l’abîme. Pour les retenir, il faut la discipline des légions, la dureté implacable de Rome. Celle de soldats dressés à obéir à leurs chefs.
Je me suis souvenu du corps de Toranius et des cinquante mille victimes des soldats d’Antonius Primus.
Or Rome était ville romaine.
De quoi ces hommes qui haïssaient les Juifs seraient-ils capables le jour où ils entreraient dans Jérusalem ?
J’ai chevauché parmi eux quand l’armée s’est ébranlée.
Nous étions au moins quatre-vingt mille, et il était grisant de se fondre dans cette masse humaine.
Notre avant-garde était composée des troupes des rois alliés et de tous les contingents auxiliaires, ces Arabes, ces Syriens, ces Macédoniens, ces Phrygiens, tous pillards et massacreurs, qui étaient les ennemis invétérés des Juifs. Puis venaient les pionniers et les métreurs du camp, les bagages des officiers et les troupes qui en assuraient la garde. Titus s’avançait enfin, entouré par les soldats d’élite et les lanciers, puis suivaient les cavaliers des légions et les machines de siège, les béliers et les catapultes, les balistes et les scorpions, ensuite les tribuns, les préfets, les enseignes groupées autour de l’aigle et précédées par les trompettes. Le gros de la colonne venait par rangs de six, puis les valets d’armes, et ceux dont je n’osais même pas croiser les regards tant ils étaient cruels, ceux dont la démarche était aussi souple que celle des fauves, ces mercenaires venus de tout l’Orient pour tuer les Juifs, piller et détruire Jérusalem.
Lorsque j’ai vu cette troupe passer puis bivouaquer non loin de Jérusalem dans la vallée des Épines, près d’un bourg qui porte le nom de Colline de Saül, j’ai craint que la prophétie de Flavius Josèphe ne se réalise.
J’ai imaginé le sort de ces centaines de milliers de Juifs qui avaient fui la Galilée, la Samarie, la Judée, pour se réfugier dans la ville sacrée, autour du Temple, sous la protection de Dieu.
Mais si Dieu les abandonnait ?
J’entendais la voix de Flavius Josèphe martelant les mots du prophète Jérémie qu’il reprenait à son compte : « Ce peuple jonchera les rues de Jérusalem, victime du glaive et de la famine ; personne ne les ensevelira, ceux-là, ni eux, ni leurs femmes, ni leurs fils, ni leurs filles. » Ou encore : « Les cadavres joncheront le sol comme le fumier, comme derrière le moissonneur les épis dispersés que personne ne ramasse. »
Et, parmi eux, Léda Ben Zacchari.
L’anxiété m’a serré la gorge.
Quand Titus a rassemblé six cents cavaliers d’élite pour aller reconnaître la ville et ses abords, j’ai demandé à me joindre à eux.
Et nous nous sommes élancés vers Jérusalem.
23
J’ai vu les murailles, les tours, les forteresses de Jérusalem, et j’ai tremblé.
Elles liaient la terre au ciel et fermaient l’horizon.
Elles surplombaient les ravins, chevauchaient les collines, épousant leurs formes, flamboyant dans le soleil comme si chacun des blocs de pierre avait été un miroir.
J’ai regardé Titus. Il se tenait seul en avant de notre troupe dont les chevaux piaffaient.
Son visage était impassible, mais son corps raidi, tendu, et son cheval, comme s’il avait ressenti l’anxiété ou l’impatience de son cavalier, se cabrait, rétif, cherchant à reculer. Titus avait beau lui empoigner la crinière, tirer à pleines mains, vouloir la dompter, sa monture résistait, ruait.
Ainsi seraient les combats.
Il faudrait franchir les ravins de la Géhenne et du Cédron pour parvenir au pied de la première enceinte, la plus récente, dont je distinguais les soubassements,
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