Titus
venaient les troupes auxiliaires, des archers arabes, des frondeurs de Cappadoce, de Cilicie, de Phrygie et d’Asie. Les Macédoniens étaient tous de haute taille et constituaient la garde personnelle de leur roi. Les Syriens s’avançaient, précédant les soldats d’Agrippa et de Bérénice.
— Mais ces brigands, Jean de Gischala, Éléazar, Simon Bar Gorias, ces zélotes, ces sicaires ont aussi fait de mon peuple la grande proie de tous ceux qui jalousent les Juifs depuis plus de mille ans. Ces Arabes, ces Syriens, ces Macédoniens, ces Phrygiens ne sont pas seulement là pour montrer à Titus, fils de l’empereur, qu’ils sont de fidèles alliés de Rome, mais parce qu’ils veulent tuer les Juifs. Ils nous haïssent, Serenus. Ils craignent notre foi inaltérable. Ils pressentent que l’on ne peut nous détruire. Que si Jérusalem devient une nouvelle fois un champ de ruines, Rome la deuxième Babylone, et Titus un second Nabuchodonosor, vainqueur des Juifs, destructeur du premier Temple, eh bien, les mots de nos prophètes nous maintiendront en vie et Jérusalem renaîtra. Mais il faut d’abord – et il a serré les poings, les brandissant devant moi – chasser les fous, les brigands. Sais-tu qu’ils ont mis le feu aux greniers où s’entassait assez de blé pour que Jérusalem résiste à un siège de plusieurs années ? Ils s’entretuent. Ils torturent et massacrent tous ceux qu’ils soupçonnent de vouloir traiter avec Titus. Ils craignent que le peuple ne suive mon exemple. Alors ils le terrorisent. Ils ont tué plus de Juifs que de Romains !
D’une voix que l’émotion faisait trembler il a récité les prophéties de Jérémie, qui avait averti que se dresser contre Nabuchodonosor ne pouvait conduire qu’à la destruction de Jérusalem :
— « Cette ville tombera infailliblement au pouvoir de l’armée du roi de Babylone qui la prendra de vive force. En résistant par les armes, vous ne réussirez qu’à mourir. Servez plutôt le roi de Babylone, et vous aurez la vie sauve ! Pourquoi cette ville deviendrait-elle ruines ? »
Et ça recommençait ! Par le sang juif qu’ils avaient fait couler, les brigands d’aujourd’hui avaient souillé la ville sacrée, le Temple, et cela, Dieu ne le leur pardonnerait pas !
— Écoute encore, Serenus, a poursuivi Flavius Josèphe. Mes messagers ont rappelé cette prophétie de Jérémie aux prêtres du Temple. Je les connais. J’ai été l’un d’eux. Comme moi, ils n’ignoraient rien de notre histoire. Mais auront-ils le courage de s’opposer aux brigands, à Jean, Éléazar et Simon ? Sauront-ils dire au peuple, comme Jérémie l’a fait : « Quiconque demeurera dans cette ville périra par le glaive, par la famine ou par la peste, mais celui qui sortira et se livrera aux Chaldéens qui vous assiègent, il vivra, et son âme sera sa part de butin » ?
Puis il a répété à plusieurs reprises :
— On n’a pas écouté Jérémie, on ne m’écoutera pas. Le sang qu’ils ont versé les aveugle. Dieu veut les perdre, et le peuple souffrira. Et le Temple sera détruit !
Je n’ai pas voulu ajouter foi à la lugubre prophétie de Flavius Josèphe.
Je pensais à Léda, la fille de Ben Zacchari, et il semblait impossible que cette jeune femme résolue à combattre les Romains, à suivre les zélotes et les sicaires, n’entendît pas la voix de Jérémie et de Flavius Josèphe, ne voulût pas sauver son peuple du massacre et le Temple de la destruction. J’imaginais qu’ils étaient des dizaines de milliers comme elle, qui obligeraient Jean de Gischala, Simon Bar Gioras, Éléazar à ouvrir les portes de la ville et à se soumettre à la loi romaine.
Il me semblait que Titus aussi l’espérait.
Je le voyais effleurer du bout des doigts le corps de Bérénice comme on approche la main d’une puissante divinité qu’on craint et vénère. Il suffisait d’observer Titus pour savoir qu’il adorait la reine juive. Selon Mara, sa suivante, que j’avais retrouvée accueillante à Césarée, il avait même promis à Bérénice de préserver le Temple de Jérusalem.
J’ai rapporté les confidences de Mara à Flavius Josèphe.
Il m’écouta tête baissée, puis les yeux fermés, murmura en bougeant à peine les lèvres, comme s’il déchiffrait un texte qui se serait déroulé lentement devant lui :
— Il n’existe qu’une voie de salut. Et la divinité se réconcilie aisément avec ceux qui se
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