Titus
d’énormes blocs de pierre soudés entre eux par des coulées de plomb et dont on avait poli les surfaces pour qu’aucun assaillant ne pût s’agripper aux aspérités, s’élever jusqu’au faîte de la muraille. Mais, même si on l’atteignait, il faudrait conquérir les tours, et j’en ai compté plus de cent soixante.
Je connaissais le nom des plus puissantes.
Flavius Josèphe m’avait tant de fois décrit cette ville, « le plus sacré des joyaux du genre humain », disait-il, que je pouvais reconnaître, malgré la distance où nous nous trouvions, les deux autres murailles qui venaient s’appuyer aux murs énormes du Temple, défendu par la forteresse Antonia et ses quatre tours d’angle. Elles se prolongeaient jusqu’au palais du roi Hérode, lui-même flanqué de trois hautes tours, celles de Phasael, d’Hippicos et de Mariamne. Mais la plus menaçante, la tour Psephinos, formait l’un des angles de la première enceinte ; octogonale, elle se dressait si haut que de son sommet, si j’en croyais Flavius Josèphe, on distinguait au loin, vers l’ouest, les vagues de la Méditerranée, et, au sud, celles de sable du désert d’Arabie.
Pas un soldat de notre troupe ne parlait. On entendait seulement le souffle des chevaux, le raclement de leurs sabots.
Chacun de ces hommes devait imaginer comme moi les monceaux de cadavres qui s’entasseraient dans les ravins et sur lesquels il faudrait bondir pour tenter un nouvel assaut. Il y avait trois murailles à escalader, à conquérir, cent soixante-quatre tours à prendre, la forteresse Antonia à détruire, le palais d’Hérode à occuper, les murs du Temple à franchir. Alors on se trouverait devant les portails du Temple, recouverts d’or et d’argent.
Et, au centre du Temple, on découvrirait le Sanctuaire auquel on accédait par douze marches.
D’une voix étranglée par l’émotion, la colère et le désespoir, Flavius Josèphe m’avait décrit le portail et le mur du Sanctuaire entièrement recouvert d’or, surmonté de vignes elles aussi en or d’où pendaient des grappes de la taille d’un homme. Puis venaient des portes en or devant lesquelles était tendu un voile en étoffe babylonienne brodée de jacinthe, de lin très fin, d’écarlate et de pourpre.
Au bout de combien de jours de combats, après combien de milliers de soldats tués, d’habitants massacrés dans les ruelles, dans les innombrables souterrains qui faisaient des collines une véritable termitière, les soldats parviendraient-ils devant ce Saint des Saints ?
Et qui pourrait les retenir ? Qui pourrait leur interdire de puiser dans les grands coffres contenant des monnaies d’or et d’argent de toutes les nations et de tous les temps ?
Comment la voix de Titus pourrait-elle dominer les rugissements des soldats enfin vainqueurs ?
Combien de Juifs survivraient à cette bataille ?
J’ai mesuré, j’ai partagé le désespoir de Flavius Josèphe quand j’ai vu Jérusalem que le rouge du crépuscule teintait de sang.
Je me suis approché de Titus. Il ne portait ni casque ni cuirasse. Sous sa chemise ouverte, j’ai vu sa gorge et sa poitrine nues.
J’ai crié qu’il devait s’éloigner des remparts. Les Juifs étaient de redoutables archers. Se souvenait-il que l’un d’eux avait blessé Vespasien lors du siège de Jotapata ?
Titus s’est tourné vers moi. J’ai deviné qu’il hésitait à poursuivre sa reconnaissance.
Il a tendu la main, me montrant les remparts et les tours au sommet desquels on ne distinguait aucune silhouette. Les jardins et les vergers qui s’étendaient en avant de la première enceinte semblaient eux aussi abandonnés, formant un paisible échiquier de petits lopins limités par des haies et des palissades.
Titus m’a souri : que risquait-il ?
J’ai pensé que la ville était d’autant plus menaçante qu’elle paraissait désertée, prête à se livrer.
— Elle est aux aguets, ai-je crié à nouveau. Elle cache ses griffes.
Et j’ai fait reculer mon cheval comme si j’avais pu ainsi entraîner Titus.
Mais il a levé puis baissé le bras, donnant l’ordre d’avancer, et nous nous sommes engagés entre les haies et les arbres chargés de fruits, nous dirigeant vers la haute tour Psephinos qui s’élevait, octogonale, à l’angle de la première enceinte, dominant tout le paysage.
Tout à coup, une multitude d’hommes a semblé naître de la terre, surgissant de derrière les haies et les
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