Titus
dont la discipline, la docilité à vos chefs ont fait de la Fortune votre esclave, aujourd’hui vous combattez sans chef, vous désobéissez, vous prenez la fuite. Vous êtes vaincus et humiliés. Que dira mon père l’empereur quand il apprendra votre conduite et ces revers ?
Il a de nouveau croisé les bras et repris :
— Le règlement de nos légions prévoit la peine capitale pour ceux qui ont commis le moindre manquement à la discipline.
Les hommes ont baissé la tête, nuque offerte.
Je me suis joint aux officiers qui entouraient Titus et qui lui demandaient grâce pour leurs soldats : qu’il écoute leurs supplications ! Il devait pardonner à quelques-uns au nom de l’obéissance de tous.
J’ai dit :
— Pourquoi donner la mort, Titus ? Elle va, à chaque heure du jour, frapper bien plus d’hommes que tu ne pourras jamais en condamner ! Laisse le dieu de la Guerre choisir et punir !
Je n’ai été qu’une voix parmi tant d’autres, mais je comptais déjà parmi les plus vieux conseillers de Titus et j’avais servi Vespasien, son père, avec fidélité. J’étais l’ami de Flavius Josèphe qu’il consultait et écoutait. Et Josèphe appuyait mes propos.
— Les seuls que nous devons punir, a-t-il dit, sont les criminels et les brigands qui souillent Jérusalem et vouent mon peuple au malheur.
— Le siège sera long, s’est borné à marmonner Titus. Les Juifs sont valeureux. Mais nous vaincrons. Notre stratégie, notre prudence, notre courage seront plus grands que leur bravoure. Nous sommes romains et nous avons conquis le monde !
Il s’est alors tourné vers Flavius Josèphe.
— Tu ne vas plus reconnaître ton pays, Josèphe. Regarde une dernière fois ces arbres, ces jardins, ces vergers. Ils n’existeront plus que dans ta mémoire.
J’ai vu les soldats armés d’outils et de haches commencer à abattre les arbres des vergers et ceux des collines.
Ils comblaient les ruisseaux, nivelaient le terrain, renversant les palissades, arrachant les haies, descellant avec leurs instruments de fer les rochers, puis les brisant à la masse, écrasant tout ce qui se dressait encore entre l’enceinte de Jérusalem et les camps des légions.
Puis Titus a fait dresser les tentes de son camp en face de la tour octogonale de Psephinos, au point le plus élevé des environs de Jérusalem.
Depuis ce lieu, il pouvait embrasser toute la ville du regard.
Plus rien de vivant n’existait au-delà des murailles, si ce n’est les mouches qui formaient, sur les cadavres mêlés des Juifs et des Romains, comme une glu noire.
24
J’ai marché dans ce qui était devenu en quelques jours un désert de pierres où pourrissaient les cadavres des combattants.
Je suivais Flavius Josèphe.
Des tourbillons de mouches nous enveloppaient et l’odeur de mort me donnait la nausée.
J’ai voulu retenir Josèphe.
J’apercevais les Juifs qui, du haut de la première enceinte, nous guettaient. Ils pourraient bientôt nous atteindre avec leurs flèches, leurs javelots, les pierres de leurs frondes. Ils frappaient loin, visaient juste. Certains, tapis derrière les portes de la muraille, s’apprêtaient peut-être à bondir et à nous entraîner dans la ville.
Il fallait à tout prix que Flavius Josèphe s’arrête. Je lui ai empoigné le bras, mais il s’est dégagé et a continué d’avancer vers le rempart.
Je savais qu’il avait rencontré dans la nuit un groupe de Juifs qui avaient réussi à fuir Jérusalem. C’étaient des hommes désespérés qui maudissaient les zélotes, les sicaires, les Iduméens, ces brigands d’Éléazar, de Jean de Gischala, de Simon Bar Gioras qui, depuis que la ville était assiégée par les légions, avaient cessé de s’entretuer. Mais c’était pire : la fureur de ces fous s’était retournée contre les habitants qu’ils soupçonnaient de vouloir traiter avec Titus. Ils les terrorisaient, les dépouillaient, les accusaient d’être les disciples de Flavius Josèphe, ce traître passé au service des Romains. Ils égorgeaient les plus riches et jetaient les corps de leurs victimes par-dessus le rempart, dans les ravins du Cédron et de la Géhenne.
Josèphe les avait écoutés les poings serrés, et j’avais remarqué que ses épaules et ses jambes tremblaient.
Il m’avait dit :
— Mes parents, mes amis sont peut-être, là-bas, la proie de ces charognards. Je veux leur donner une sépulture.
Il marchait
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