Titus
avait brûlé le temple de Jupiter, tué le préfet de la ville – et à présent la plèbe criait « Vive l’empereur Vespasien ! », et on acclamait Domitien qui avait réussi à fuir l’incendie.
On se moquait du ventre de Vitellius et de sa trogne. On le rouait de coups de poing et de coups de pied.
C’était cet homme-là, que les poignards et les ongles commençaient à déchiqueter à petits coups afin que son agonie soit plus longue, sa souffrance plus intense, qui avait été acclamé, la veille encore, par cette plèbe qui l’écharpait.
J’ai vu ce corps au ventre énorme tomber, et ce n’étaient pas des chiens qui le déchiraient, mais des hommes.
Puis on l’a traîné vers le Tibre avec un croc.
Après les soldats d’Antonius Primus, ceux de Vespasien, le sauveur venu de Judée, se sont répandus dans Rome.
Ils ont tué, et les cadavres des partisans de Vitellius se sont entassés sur le Forum, dans les rues, et même les chiens les ont dédaignés, ne reniflant plus cette chair dont ils s’étaient gavés.
J’ai vu Domitien. J’ai rencontré Antonius Primus.
Je leur ai demandé d’arrêter ce massacre.
Primus a secoué la tête : la vengeance était l’un des butins que l’on offrait aux soldats vainqueurs. Ceux-ci avaient perdu des milliers de leurs camarades à Crémone. Le pillage de cette ville, le massacre de ses habitants ne leur avaient pas suffi.
Alors, à Rome, ils tuaient qui bon leur semblait.
Ils entraient dans les maisons. Ils égorgeaient. Ils violaient. Ils éventraient. Ils pillaient.
J’ai rappelé que l’empereur Flavius Vespasien avait voulu que la chute de Vitellius ne s’accompagnât d’aucun massacre.
— Après la victoire, a marmonné Antonius Primus, les soldats sont des bêtes enragées. Malheur à qui prétend les dompter !
Ce sont les troupes de Mucien qui y réussirent, mais on dénombrait déjà dans les rues, sur les places et dans les maisons de Rome plus de cinquante mille cadavres.
Lorsque j’ai traversé l’un des ponts sur le Tibre, j’ai vu, comme si souvent autrefois, durant le règne de Néron, des corps retenus par les hautes herbes et les roseaux des berges du fleuve, ou bien accrochés aux piles du pont.
J’ai marché à pas pressés dans les ruelles du quartier juif pour ne pas voir les portes défoncées, les meubles brisés jetés sur les pavés, ne pas entendre les lamentations des femmes.
Mais les morts avaient déjà été ensevelis.
Dans la cave de la maison de Toranius ils étaient encore là, leur sang mêlé.
Les soldats avaient dû les surprendre pendant leur prière, puisque la plupart étaient agenouillés et que le glaive s’était abattu sur leur nuque.
Seul Toranius était debout, cloué au mur, bras écartés, un javelot enfoncé dans la gorge, deux poignards perçant ses paumes.
Crucifié .
Vespasien n’était pas le sauveur qui venait de Judée.
Un empereur ne sauve pas les hommes. Il les arme pour qu’ils tuent.
Le Sauveur ne brandissait pas le glaive. Il était mortel, comme un homme. Et il ressuscitait, parce qu’il était aussi Dieu. Et ceux qui croyaient en lui seraient comme lui sauvés.
Je me suis agenouillé et j’ai prié Christos.
QUATRIÈME PARTIE
21
J’ai quitté Rome où je vivais avec la mort.
Je n’avais pu empêcher des esclaves, qu’accompagnaient un centurion et trois soldats, de jeter dans un chariot, comme on fait des cadavres d’animaux, les corps de Toranius et de ses fidèles à la nuque fendue par les glaives.
Je m’étais indigné. J’avais invoqué les noms de Mucien et d’Antonius Primus, mais le centurion m’avait brutalement écarté.
Je n’avais pas de lieu où dresser des sépultures, avait-il dit. Et puisque j’étais citoyen romain, comment aurais-je pu honorer les dépouilles infâmes de ces Juifs qui continuaient à refuser la loi de Rome, en Judée et même ici, dans la capitale de l’Empire ?
Il avait montré les silhouettes pressées qui se glissaient dans les rues de ce quartier juif où, disait le centurion, on respirait l’odeur du sang des sacrifices humains que les Juifs étaient réputés pratiquer.
J’avais répliqué que Toranius était un disciple de Christos, un nouveau dieu que les Juifs refusaient de reconnaître.
— Les chrétiens viennent des Juifs ! m’avait-il lancé. Il faut trancher le rejeton et arracher la racine. Écarte-toi, chevalier !
J’avais vu
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