Titus
escalader comme s’il s’était agi de décombres.
J’étais aux côtés de Titus et de Flavius Josèphe. Le visage du premier exprimait à la fois la résolution et le désespoir. Quand il se tournait vers le second, son regard disait : « Je n’ai pas voulu cela, mais c’est ainsi je dois accepter de l’accomplir. »
Josèphe pleurait.
J’avais assisté avec lui à la réunion des généraux que Titus avait convoqués sous sa tente.
Ils se tenaient épaule contre épaule, le torse moulé par leur cuirasse d’or, le casque enfoncé jusqu’aux yeux.
Titus était assis au centre de la tente.
Il avait interrogé Tibère Alexandre, son chef d’état-major, puis les généraux, son ami Fronton, qui commandait les deux légions d’Alexandrie et près duquel se tenait le procurateur de Judée, Marc Antoine Julien.
À chacun il avait posé la même question : quel sort réserver au Temple de Jérusalem, à la demeure sacrée où les Juifs honoraient leur dieu, à ce palais divin, l’un des joyaux du genre humain ? Fallait-il commettre un acte sacrilège en le détruisant ?
Il s’était tourné vers Flavius Josèphe, mais ne l’avait pas questionné.
Les généraux avait hésité.
— Le feu, avait répondu Tibère Alexandre.
Les Juifs n’avaient-ils pas transformé ce Temple en forteresse ? Il fallait donc appliquer la loi de la guerre, car les Juifs ne cesseraient jamais de se révolter tant que leur Temple subsisterait comme le lieu où ils se rassemblaient, venant de tous les points du pays et même de toutes les provinces de l’Empire.
— Le feu, avait répété l’un des généraux. Il faut que les flammes détruisent à jamais leur mémoire.
Titus s’était levé.
— Je ne me vengerai pas des hommes sur des objets inanimés, avait-il conclu. Je ne réduirai jamais en cendres un monument d’une telle beauté. Les dieux, quels qu’ils soient, doivent être respectés. Ce temple sera l’un des ornements de l’Empire. Il ne brûlera pas.
Mais j’ai vu les flammes s’élever, les poutres s’effondrer, les portes d’argent et d’or fondre, les tentures s’embraser.
Un soldat, dit-on, avait jeté une torche dans le Temple au cours de la bataille, et les autres autour de lui l’avaient imité, tant étaient grandes leur haine et leur volonté de vaincre, de réduire enfin cette ville rebelle et ces Juifs qui osaient continuer de combattre.
Or les flammes chassaient les Juifs, les désespéraient, les dévoraient. La victoire naissait du feu.
J’ai vu les Juifs se jeter dans le brasier pour tenter d’en étouffer les flammes.
J’ai entendu leurs clameurs quand ils comprenaient que le Sanctuaire, puis tous les bâtiments qui l’entouraient, et, parmi eux, ceux qui contenaient le trésor de ce peuple, les monnaies précieuses, les vêtements du culte, les chandeliers, allaient être détruits, et que leur dieu laissait l’incendie se propager.
Chaque soldat était de son côté emporté par une ivresse incendiaire et meurtrière.
Tous avançaient, s’emparaient de brandons, les jetaient en hurlant dans les pièces qui n’étaient pas encore enflammées.
Ils brûlaient les portails couverts de métaux précieux et les portiques sur lesquels une foule de femmes et d’enfants s’étaient réfugiés, écoutant leurs prêtres qui leur avaient assuré qu’ils seraient, en ces lieux sacrés, protégés.
Ils étaient à présent par milliers précipités dans les flammes.
J’ai vu Titus, tête nue, sans cuirasse, arriver en courant dans le Sanctuaire, hurler qu’il fallait enrayer l’incendie, sauver ce lieu sacré.
Mais aucun soldat ne paraissait l’entendre.
J’étais près de lui, au milieu de ses généraux, quand il a donné l’ordre aux centurions de frapper les légionnaires qui attisaient l’incendie.
Mais les soldats ne paraissaient pas sentir les coups de hampe que les centurions leur donnaient. Ils semblaient ne pas voir Titus ni les tribuns. Ils continuaient de jeter leurs brandons. Ils voulaient entrer dans le Sanctuaire afin d’y tuer ces Juifs qui les avaient vaincus si souvent et qui continuaient de se battre au milieu des flammes.
Ils ne se souciaient pas des ordres de Titus. Ils entendaient continuer à brûler, à tuer. Et les soldats qui affluaient poussaient ceux qui se trouvaient devant eux, si bien que certains même basculaient à leur tour dans les flammes, brûlaient avec les Juifs dont les corps s’entassaient sur
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