Titus
Jérusalem.
Un pont la franchissait, mais nul n’osait s’y aventurer.
Sur la berge du Temple et de la ville basse, nos soldats guettaient.
Sur la rive de la ville haute, les sicaires et les zélotes tuaient à coups de pierres ceux qui tentaient de passer le pont, de déserter.
Et au pied du mont, contre les piles, les cadavres que l’on avait basculés dans la rivière s’amoncelaient.
Au deuxième jour de septembre, j’ai néanmoins vu un homme s’avancer sur le pont.
Il portait une longue tunique de prêtre et levait les bras. Il marchait d’un pas lent, assuré, et les soldats accroupis dans les ruines autour de moi se sont redressés. Si les zélotes et les sicaires laissaient cet homme s’approcher, c’est qu’il était sans doute leur envoyé. L’homme s’est immobilisé au milieu du pont.
Il a crié que Simon Bar Gioras et Jean de Gischala voulaient entendre, de la bouche de Titus – et d’aucun autre, a-t-il hurlé – les propositions que les Romains étaient disposés à faire pour que la guerre s’arrêtât.
J’ai remercié le ciel quand j’ai vu Titus, entouré par ses tribuns et ses centurions, s’approcher de l’entrée du pont.
Les soldats s’agglutinaient autour de lui. J’entendais leurs murmures. Ils étaient comme des fauves que l’on retient, qui rugissent de ne pouvoir encore se jeter sur leur proie.
J’ai tremblé. Ils avaient encore soif de sang.
Mais Titus a levé la main, les a contraints au silence. Il a montré la ville haute et la foule qui s’approchait du pont, en tête de laquelle marchaient Jean de Gischala et Simon Bar Gioras, leurs zélotes et leurs sicaires.
— Ils sont, a-t-il dit, comme des thons dans la nasse. Nos terrassements, notre mur les enferment. Ils n’échapperont pas à la mort si nous le décidons. Nous n’aurons qu’à frapper. Ils sont si nombreux que chacun de nos coups en tuera plusieurs. Et nous verrons la terre se couvrir de sang, comme les pêcheurs voient rougir la mer. Ils n’ont alors plus qu’à tirer le filet et ramasser leur pêche.
Il a fait un pas vers les soldats.
— Mais il nous faudra plusieurs jours pour les tuer tous. Et les cadavres ne nourriront que les chacals, les hyènes, les vautours. Si, aujourd’hui, les Juifs jettent leurs armes, nous choisiront ceux qui doivent mourir ici, ceux qui combattront dans les amphithéâtres pour le plaisir de la plèbe, et ceux qui deviendront nos esclaves et que nous vendrons pour notre profit. Voilà pourquoi, puisque enfin ils veulent nous écouter, nous allons leur parler. Que pas une flèche, que pas un javelot, que pas une pierre de fronde ne soient lancés. Je tuerai de ma main celui qui n’obéira pas à cet ordre ou celui qui criera une insulte. Nous sommes les légions de Rome. La discipline est notre force.
Le silence et l’immobilité ont figé cette foule d’hommes en armes debout sur les ruines du Temple et de la ville basse.
Sur l’autre rive de la Xyste, la foule s’est tue elle aussi, et Jean de Gischala et Simon Bar Gioras se sont avancés vers le milieu du pont, à la rencontre de Titus.
J’ai imaginé que le zélote et le sicaire allaient reconnaître leur défaite. Le Temple n’était plus qu’amas de décombres. Leurs troupes ne pouvaient s’échapper de la ville haute. Ils n’avaient le choix qu’entre la reddition et la mort. Pas seulement celle des combattants, mais celle de tous les survivants, ces femmes, ces enfants, ces vieux qui se tenaient immobiles sur le bord de la Xyste, espérant la fin des combats.
Tout à coup, la voix de Titus s’est élevée.
Dès les premiers mots, j’ai su qu’il ne serait pas entendu, que Bar Gioras et Jean de Gischala préféreraient la mort à l’humiliation et au supplice. Ils n’avaient souhaité ces pourparlers que pour se persuader – et convaincre la foule des survivants – qu’il n’y avait d’autre issue que la mort au combat.
— Alors, Juifs, en avez-vous maintenant assez des malheurs de votre patrie ? clamait Titus d’une voix méprisante, celle du vainqueur qui veut non seulement imposer sa loi, mais obliger le vaincu à reconnaître qu’il a eu tort de se rebeller, de résister, qu’il doit déposer les armes et tendre la gorge, avouer que sa révolte était un acte de folie.
« Vous avez refusé de voir notre puissance et votre faiblesse, a-t-il poursuivi, vous vous êtes abandonnés à la démence, vous avez ainsi causé la perte de votre
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