Titus
sénateurs imitaient sa manière de se vêtir, de marcher, se disputaient pour acheter l’un de ses bijoux ou l’une de ses tuniques.
On la flattait, on espérait être invité dans son palais, car on savait que Titus, successeur désigné de l’empereur, était si épris d’elle qu’il avait fait assassiner, au sortir d’un banquet, le général Coecina, soupçonné de rechercher ses faveurs et peut-être de les avoir obtenues.
Cependant, quand je me rendais au Palatin, je surprenais, dans l’entourage de l’empereur Vespasien, des propos méprisants envers cette Juive dont on pensait qu’elle entretenait avec son frère Agrippa des liens incestueux, qu’elle exerçait sur Titus une influence aussi démesurée que néfaste. Rome n’accepterait jamais que l’épouse du futur empereur fut la reine d’un peuple vaincu. Il n’y aurait pas de nouvelle Cléopâtre, assurait-on, et l’on savait le sort que les magistrats de Rome avaient réservé à César lorsqu’ils avaient craint qu’il ne régnât, époux de la reine égyptienne, comme un monarque oriental.
Flavius Josèphe avait sans doute compris cela – peut-être jalousait-il aussi l’influence de Bérénice sur Titus – et il était le moins obséquieux des familiers de la reine.
Mais, comme elle, comme eux tous, ces Juifs puissants, il se félicitait des succès des légions de Lucilius Bassus en Judée.
Ils espéraient que l’empereur accorderait à ce légat le triomphe romain et le titre d’imperator.
Bassus n’avait-il pas massacré des milliers de Juifs qui avaient réussi à fuir Macheronte après que la ville s’était rendue ? Quant aux femmes et aux enfants, ils avaient tous été réduits en esclavage.
Les légions avaient ensuite encerclé une forêt proche de la vallée du Jourdain. Là, dans l’épaisse futaie s’étaient réfugiés des zélotes et des sicaires qui avaient survécu au siège de Jérusalem. Bassus les avait traqués comme on fait d’un gibier. Il avait fait abattre les arbres, ses soldats avançant épaule contre épaule au fur et à mesure que l’espace était déboisé, les Juifs reculant, le cercle des cohortes les étouffant peu à peu inexorablement. À la fin, ils n’avaient eu d’autre choix que de se laisser égorger ou de s’élancer contre cette muraille de métal et de cuir, ces pointes de javelots ou de glaives, et pas un seul d’entre eux n’avait survécu. Ils avaient été plus de trois mille.
Ni Bérénice, ni Agrippa, ni Flavius Josèphe, ni Tibère Alexandre ne tressaillirent en apprenant ce nouveau massacre.
J’ai entendu Tibère Alexandre regretter que la citadelle de Massada ne fut pas encore tombée, et craindre que sa situation au sommet d’un piton rocheux ne la rendît inexpugnable.
Avant qu’elle ne tombât aux mains des sicaires, il l’avait jadis visitée.
Elle dominait le désert de Judée. Le roi Hérode l’avait fait entourer de murs encore plus massifs que ceux de Jérusalem. Il avait fait creuser des citernes et des remises pour que l’on disposât d’assez d’eau et de vivres pour résister à un long siège. Les assaillants éventuels se retrouveraient impuissants, obligés d’établir leur camp dans le désert de Judée et dominés par cet éperon rocheux aussi vaste qu’un plateau. Hérode y avait fait aménager des habitations et un luxueux palais. Entre les murs s’étendait une terre irriguée, cultivable, et la sécheresse accablerait les seuls assiégeants.
Mais qui pouvait résister à Rome ? s’était exclamé Flavius Josèphe.
L’Empire était l’élu de Dieu. Ses armées seraient victorieuses dès lors qu’il déciderait de venir à bout de Massada.
Il fallait que cette forteresse tombe, car le temps n’était plus à l’alliance des nations avec Rome, mais à leur disparition.
Il était bon que Vespasien eût créé sur la terre de Judée, à Emmaüs, une colonie pour huit cents vétérans.
Il était juste que la contribution annuelle que les Juifs versaient au Temple de Jérusalem fut désormais attribuée à une caisse particulière, le Fiscus judaicus. Chaque Juif devait ainsi, à raison de deux drachmes par tête, alimenter le trésor du temple de Jupiter Capitolin.
— Mais celui qui croit en notre Dieu peut le prier dans ce temple personnel qu’est son âme, avait ajouté Flavius Josèphe. Le temps, s’il n’est plus aux nations, est désormais celui de chaque citoyen.
Il m’avait regardé,
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