Titus
mur de siège.
Mais Flavius Josèphe s’approchait de l’empereur, lui soufflait que le roi Hérode avait fait creuser au cœur de cette forteresse des citernes pouvant contenir suffisamment d’eau pour étancher la soif de centaines d’hommes durant des mois, peut-être des années. Et le climat sec, l’air pur avaient dû conserver intactes les réserves de vivres.
Vespasien maugréait, hochait la tête, puis quittait la salle, mais, au moment de sortir, il lançait :
— Qu’on ne me parle plus de Massada, jamais, jusqu’au jour où elle ne sera plus qu’un tas de ruines sous lesquelles on aura enseveli ces Juifs !
Léda était sans doute parmi eux. Plusieurs fois j’avais rêvé d’elle. Elle m’était toujours apparue au sommet d’un mont que j’essayais d’escalader. Des pierres roulaient autour de moi, rendant mon ascension périlleuse. J’empruntais un sentier sinueux que des blocs obstruaient, et lorsque je tentais de me glisser entre eux, je me heurtais à un mur d’enceinte et j’étais la cible d’archers, de frondeurs juifs.
Lorsque, un jour, Flavius Josèphe et Tibère Alexandre évoquèrent ce sentier dit du Serpent, seule voie d’accès à Massada, j’ai aussitôt pensé au sentier que je suivais dans mes rêves.
J’ai alors décidé de partir pour la Judée.
J’ai vu Massada.
Je n’avais pas imaginé une aussi puissante forteresse naturelle, comme un bloc aux arêtes vives dressé au milieu du désert.
Son ombre et sa masse écrasaient le camp romain.
J’ai gravi le promontoire de pierres blanches qui, au-dessus d’un précipice, s’approchait du mur d’enceinte. Des milliers d’esclaves juifs que fouettaient les légionnaires transportaient de la terre et des pierres afin de l’élargir, de l’élever et de le prolonger suffisamment pour le transformer en rampe d’accès.
Je ne suis resté que quelques instants à son extrémité.
L’atmosphère était si desséchée que les lèvres et la peau se craquelaient. Le vent du désert soufflait et j’avais l’impression que des milliers de dards s’enfonçaient en moi, que le sable brûlant emplissait ma bouche.
Je suis redescendu au camp. Il faisait si chaud sous la tente que j’ai préféré m’asseoir à l’extérieur dans le mince rectangle d’ombre qu’elle dessinait sur le sol caillouteux.
J’ai voulu boire, mais l’eau transportée par les esclaves juifs depuis l’oasis d’Ein Gedi était si salée, si chaude que je l’ai recrachée. Pourtant, la chaleur était si intense, ma soif si forte que j’ai repris l’outre, inondant mon visage et mes lèvres, mais il m’a semblé que des plaques dures se formaient sur ma peau, comme ces croûtes blanchâtres que j’avais aperçues sur le rivage de la mer Morte.
— Demain, m’a dit Flavius Silva en s’asseyant près de moi, j’ordonnerai qu’on pousse les machines de siège sur la rampe d’accès.
Il parlait comme pour lui-même, les mains croisées, les coudes appuyés sur ses genoux, le buste penché en avant.
— Ces Juifs ont cru que j’allais renoncer, a-t-il poursuivi. Ils ne nous attaquent même plus, tant ils sont persuadés que nous ne parviendrons jamais à lancer nos boulets sur leur enceinte et à l’ébranler avec nos béliers. Ils ne connaissent pas l’obstination des soldats de Rome.
— S’ils incendient les machines…, ai-je commencé.
Je me suis interrompu, tant le regard de Flavius Silva était irrité, hostile.
— J’étais à Jérusalem, ai-je murmuré. J’ai vu les béliers, les hélépoles, les balistes et les scorpions détruits par les Juifs. J’ai même vu nos soldats reculer.
Il s’est levé.
— Pourquoi êtes-vous venu jusqu’ici ? Vous aimez la Judée ? la guerre ? Mais vous n’êtes pas soldat. Peut-être aimez-vous les Juifs ? On m’assure qu’à Jérusalem vous avez choisi une femme parmi les captives. Elle est ici ?
Il a ricané.
— Personne, vous m’entendez, Serenus, je ne laisserai personne sortir vivant des ruines de Massada !
41
Je me suis souvenu des paroles de Flavius Silva quand j’ai vu deux femmes, auxquelles s’agrippaient des enfants, surgir de terre alors que les flammes, après des mois de siège et de combats, ravageaient la forteresse de Massada.
Bras écartés, les enfants entre elles, les deux femmes se sont avancées vers nous. Elles étaient échevelées et hurlaient des mots que, dans le grondement de l’incendie, des murs
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