Titus
ajoutant :
— Tu peux même choisir, Serenus, de prier Christos et de croire à sa résurrection.
Je n’avais aimé ni ses propos ni son sourire ironique, presque méprisant.
J’ai regretté les jours ou Josèphe pleurait en voyant les ruines de Jérusalem s’accumuler et les croix se dresser, où il cherchait à se rassurer sur l’avenir de son peuple et de sa foi.
Mais il ne citait plus le prophète Jérémie.
Il était devenu un Juif romain satisfait de pouvoir célébrer les fêtes de sa religion, mais ayant renoncé à la faire vivre dans une patrie, un peuple réuni.
J’ai pensé que Flavius Josèphe et Tibère Alexandre, tout comme le roi Agrippa et la reine Bérénice, étaient des citoyens de l’Empire avant que d’être des Juifs.
Je rentrais chez moi en hâte, désireux de vite retrouver Léda Ben Zacchari dont, à ce moment-là, je comprenais le comportement. Son mutisme était sa manière à elle d’affirmer sa fidélité à son peuple.
Je lui avais offert d’être citoyenne de Rome.
Elle voulait être libre et juive.
Ai-je été surpris quand, dans la pénombre de ma chambre, j’ai heurté le corps de Télos ?
En réalité j’avais toujours su que, d’une manière ou d’une autre, par la mort ou la fuite, le silence ou la passivité, Léda m’échapperait. Et, d’ailleurs, je ne l’avais jamais vraiment possédée.
Les esclaves ont apporté des lampes et des bougies.
Télos avait été frappé d’un coup de poignard à la hauteur du cœur.
La blessure n’était qu’une étroite entaille qui avait à peine saigné. Mais la lame effilée était longue et sa pointe avait percé la vie de mon esclave.
Je contemplai son corps, le poignard encore fiché dans sa poitrine.
Je m’étonnais que Léda ne m’eût pas tué au cours de ces nombreuses nuits que j’avais passées auprès d’elle.
Peut-être m’avait-elle ainsi prouvé sa reconnaissance de lui avoir évité le sort des autres captives ?
Je l’ai imaginée, seule dans Rome, affrontant tous les périls qui menaçaient une femme dans cette foule où l’on était si prompt à détrousser et à assassiner.
Mais j’ai aussi pensé qu’elle était assez forte, assez déterminée. Animée par une foi si vive, indestructible, elle réussirait à survivre, à regagner sa terre afin d’y combattre encore.
J’ai fermé les yeux. Et je l’ai vue, debout, défiant Rome sur les remparts de Massada.
SIXIÈME PARTIE
40
Je suis allé à Massada.
Je m’étais persuadé que Léda avait réussi à rejoindre cette dernière forteresse juive dont on n’osait pas prononcer le nom devant l’empereur ou Titus.
À chaque fois qu’un courrier du gouverneur de Judée, Flavius Silva, entrait au palais, Vespasien le recevait aussitôt.
On guettait les réactions de l’empereur. Titus lui lisait lentement les dépêches.
Les quelques centaines de sicaires commandés par Éléazar Ben Jaïr résistaient encore. La rampe d’accès dont Flavius Silva avait ordonné la construction à partir d’un promontoire n’était pas achevée. On n’avait donc pas pu approcher des murs d’enceinte les machines de siège, les catapultes et les béliers. Les sicaires avaient réussi de nombreux coups de main. Flavius Silva demandait le renfort de plusieurs cohortes et un nouveau contingent d’esclaves juifs.
Vespasien s’emportait : Silva disposait déjà de dix mille hommes et de cinq mille esclaves. N’était-ce pas suffisant pour en finir avec moins d’un millier de Juifs ?
Il se tournait vers Flavius Josèphe et vers Tibère Alexandre, qui connaissaient les lieux. L’un et l’autre rappelaient que Massada se dressait en plein désert, que les troupes romaines avaient établi leur camp au pied de ce piton, que leur approvisionnement en nourriture et en eau devait être apporté chaque jour de l’oasis d’Ein Gedi, à plusieurs heures de marche, dans une atmosphère étouffante, au bord de cette mer Morte au-dessus de laquelle flottait en permanence une brume de chaleur jaune soufre.
Vespasien grimaçait, son visage encore plus contracté qu’à l’ordinaire. On eût dit que tout son corps souffrait. Il écrasait son ventre de ses épaisses mains de soldat. Puis, d’un geste, il renvoyait le courrier, haussait les épaules, murmurait que la guerre de Judée était finie, que ces sicaires crèveraient de faim et de soif, puisque Flavius Silva avait établi tout autour du piton un
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