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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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croître sur un terrain très circonscrit et presque entièrement privé des rayons du soleil, chacun de ces arbres monte rapide­ment pour chercher l'air et la lumière. Aussi droit que le mât d'un vaisseau il ne tarde pas à s'élever au-dessus de tout ce qui l'environne. Parvenu à une région supérieure, c'est alors qu'il étend tranquillement ses branches et s'enveloppe de leur ombre. D'autres le suivent bientôt dans cette sphère élevée et tous, entrelaçant leurs rameaux, forment comme un dais immense au-dessus de la terre qui les porte. Au-dessous de cette voûte humide et immobile, l'aspect change et la scène prend un caractère nouveau. Un ordre majestueux règne au-dessus de votre tète. Près de la terre tout offre au contraire l'image de la confusion et du chaos. Des troncs incapables de supporter plus longtemps leurs branches se sont fendus dans la moitié de leur hauteur et ne présentent plus à l’œil qu'un sommet aigu et déchiré. D'autres, longtemps ébranlés par le vent, ont été précipités d'une seule pièce sur la terre ; arrachées du sol, leurs racines forment comme autant de remparts naturels derrière lesquels plusieurs hommes pourraient facilement se mettre à couvert.
    Des arbres immenses retenus par les branches qui les environnent restent suspendus dans les airs et tombent en poussière sans toucher le sol. Il n'y a pas parmi nous de pays si peu peuplé où une forêt soit assez abandonnée à elle-même pour que les arbres, après y avoir suivi tranquillement leur carrière, y tombent enfin de décrépitude. C'est l'homme qui les frappe dans la force de leur âge et qui débarrasse la forêt de leurs débris. Dans les solitudes de l'Amérique, la nature dans sa toute-puissance est le seul agent de ruine comme le seul pouvoir de reproduction. Ainsi que dans les forêts soumises au domai­ne de l'homme, la mort frappe ici sans cesse : mais personne ne se charge d'enlever les débris qu'elle a faits. Tous les jours ajoutent à leur nombre ; ils tombent, ils s'accumulent les uns sur les autres, le temps ne peut suffire à les réduire assez vite en poussière et à préparer de nouvelles places. Là se trouvent couchées côte à côte plusieurs générations de morts. Les uns arrivés au dernier terme de dissolution ne présentent plus à l’œil qu'un long trait de poussière rouge tracé dans l'herbe. D'autres déjà à moitié consumés par le temps conservent encore cependant leurs formes. Il en est enfin qui, tombés d'hier, étendent encore leurs longs rameaux sur la terre et arrêtent les pas du voyageur par un obstacle qu'il n'avait pas prévu. Au milieu de ces débris divers, le travail de la reproduction se poursuit sans cesse. Des rejetons, des plantes grimpantes, des herbes de toute espèce se font jour à travers tous les obstacles. Elles rampent le long des troncs abattus, elles s'insinuent dans leurs pous­sières, elles soulèvent et brisent l'écorce qui les couvre encore. La vie et la mort sont ici comme en présence, elles semblent avoir voulu mêler et confondre leurs oeuvres.

        Il nous est souvent arrivé d'admirer sur l'océan une de ces soirées calmes et serei­nes, alors que les voiles flottant paisiblement le long des mâts laissent ignorer au matelot de quel côté s'élèvera la brise. Ce repos de la nature entière n'est pas moins imposant dans les solitudes du Nouveau Monde que sur l'immensité de la mer. Lorsque au milieu du jour le soleil darde ses rayons sur la forêt, on entend souvent retentir dans ses profondeurs comme un long gémissement, un cri plaintif qui se prolonge au loin. C'est le dernier effort du vent qui expire. Tout rentre alors autour de vous dans un silence si profond, une immobilité si complète que l'âme se sent pénétrée d'une sorte de terreur religieuse. Le voyageur s'arrête ; il regarde : pressés les uns contre les autres, entrelacés dans leurs rameaux, les arbres de la forêt semblent ne former qu'un seul tout, un édifice immense et indestructible, sous les voûtes duquel règne une obscurité éternelle. De quelque côté qu'il porte ses regards, il n'aperçoit qu'un champ de violence et de destruction. Des arbres rompus, des troncs déchirés, tout annonce que les éléments se font ici perpétuellement la guerre. Mais la lutte est interrompue. On dirait qu'à l'ordre d'un pouvoir surnaturel, le mouvement s'est subite­ment arrêté. Des branches à moitié brisées semblent tenir encore par

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