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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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retrouver. Ma voix retentit pendant longtemps dans les solitudes qui m'environnaient. Mais je n'obtins aucune réponse. Je criai de nouveau et écoutai encore. Le même silence de mort régnait dans la forêt. L'inquié­tude me saisit et je courus le long du ruisseau pour trouver le chemin qui en traversait plus bas le cours. Arrivé là j'entendis dans le lointain le pas des chevaux et je vis bientôt après paraître B. lui-même. Étonné de ma longue absence il avait pris le parti de s'avancer vers le ruisseau ; il s'était déjà engagé dans les bas-fonds lorsque je l'avais appelé. Ma voix n'avait pu alors parvenir jusqu'à lui. Il me raconta que de son côté il avait fait tous ses efforts pour se faire entendre et avait été comme moi effrayé de ne point recevoir de réponse. Sans le gué qui nous servit de point de réunion, nous nous serions peut-être cherchés une grande partie de la nuit. Nous nous remîmes en route en nous promettant bien de ne plus nous séparer et à trois quarts d'heure de là nous aperçûmes enfin un défrichement, deux ou trois cabanes et ce qui nous fit plus de plaisir, une lumière. La rivière qui s'étendait comme un fil violet au bout du vallon acheva de nous prouver que nous étions arrivés à
Flint River.
Bientôt en effet les aboiements des chiens firent retentir le bois et nous nous trouvâmes devant une
log-house
dont une barrière seule nous séparait. Comme nous nous préparions à la fran­chir, la lune nous fit apercevoir de l'autre côté un grand ours noir qui debout sur ses pattes et tirant à lui sa chaîne indiquait aussi clairement qu'il le pouvait son intention de nous donner une accolade toute fraternelle.
    « Quel diable de pays est ceci, dis-je, où l'on a des ours pour chiens de garde. - Il faut appeler, me répliqua mon compagnon. Si nous tentions de passer la barrière, nous aurions de la peine à faire entendre raison au portier. » Nous appelâmes donc à tue-tête et si bien qu'un homme se montra enfin à la fenêtre. Après nous avoir examinés au clair de la lune. « Entrez, Messieurs, nous dit-il, Trinc, allez vous coucher. Au chenil, vous dis-je. Ce ne sont pas des voleurs. » L'ours recula en se dandinant et nous entrâmes. Nous étions à moitié morts de fatigue. Nous demandâmes à notre hôte si on pouvait avoir de l'avoine. Sans doute, répondit-il, il se mit aussitôt à faucher le champ le plus voisin avec toute la tranquillité américaine et comme il aurait pu le faire en plein midi. Pendant ce temps nous dessellions nos montures et nous les attachions faute d'écurie aux barrières à travers lesquelles nous venions de passer. Ayant ainsi songé à nos compagnons de voyage, nous commençâmes à penser à notre gîte. Il n'y avait qu'un lit dans la maison. Le sort l'ayant adjugé à Beaumont, je m'entourai dans mon manteau et, me couchant sur le plancher, m'endormis aussi profondément qu'il con­vient à un homme qui vient de faire quinze lieues à cheval.

        Le lendemain 25 juillet notre premier soin fut de nous enquérir d'un guide. Un désert de quinze lieues sépare
Flint River
de Saginaw et le chemin qui y conduit est un sentier étroit, à peine reconnaissable à l’œil. Notre hôte approuva notre dessein et bientôt après il nous amena deux Indiens dans lesquels il nous assura que nous pouvions mettre toute confiance.
    L'un était un enfant de treize à quatorze ans. L'autre un jeune homme de dix-huit ans. Le corps de ce dernier, sans avoir encore acquis les formes vigoureuses de l'âge mûr, donnait cependant déjà l'idée de l'agilité unie à la force. Il était de moyenne grandeur, sa taille était droite et élancée, ses membres flexibles et bien proportionnés. De longues tresses tombaient de sa tête nue. De plus il avait eu soin de peindre sur sa figure des lignes noires et rouges de la manière la plus symétrique. Un anneau passé dans la cloison du nez, un collier et des boucles d'oreilles complétaient sa parure. Son attirail de guerre n'était pas moins remarquable. D'un côté la hache de bataille, le célèbre tomahawk ; de l'autre un couteau long et acéré à l'aide duquel les sauvages enlèvent la chevelure du vaincu. A son cou était suspendue une corne de taureau qui lui servait de poire à poudre et il tenait une carabine rayée dans sa main droite. Comme chez la plupart des Indiens son regard était farouche et son sourire bienveillant. A côté de lui, comme pour compléter le

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