Tolstoi, A. K.
le voit pas, car il a tracé un cercle magique autour de lui, et embrasse toutes les colonnes de la chapelle. Soudainement, elle retourne dans son cercueil et vole avec lui dans toute la chapelle, mais au chant du coq, le cadavre s’effondre dans le cercueil, comme si il n’avait jamais été réanimé. Chaque nuit ce spectacle s’intensifie. Lors de la deuxième nuit, elle conjure des monstres volants et une armée de fantômes. La troisième nuit, après avoir conjuré les mêmes créatures que la nuit précédente, elle appelle le Vij . (16) Le Vij voit Choma malgré son cercle magique, et toutes les créatures se jettent alors sur lui. Choma « s’effondre inanimé au sol instantanément, la peur avait fait fuir son âme de son corps » (17) (Gogol 2012 : 120).
Le conte diffère fondamentalement de « La Famille du Vourdalak ». Gogol mentionne des revenants dans les trois nuits de la messe des morts, mais le mort-vivant n’est pas forcément intéressé par le sang de Choma. Dans le récit, la défunte était clairement reconnue par les gens comme une sorcière de son vivant. Les sorcières n’ont rien de commun avec les vampires quand bien même les villageois témoignent d’évènements qui appartiennent clairement au vampirisme :
Sie packte das Kind, biß ihm die Kehle durch und begann sein Blut zu trinken. […] das dumme Weib saß auf dem Dachboden […] nach einer Weile kam aber auch das Fräulein [die Hexe] auf den Dachboden hinauf, fiel über sie her und begann sie zu beißen. (18) (Gogol 2012 : 82)
Bien que cette scène soit très classique et se retrouve souvent dans les légendes de vampire féminin, elle ne présente pas de point commun avec le « Vourdalak » de Tolstoï (peut-être à l’exception de la scène où la mère suce le sang de son fils cadet). Le seul élément ayant pu influencer Tolstoï est l’absurdité de certaines scènes. À savoir surtout les trois nuits de la messe des morts, au caractère très absurde. Tolstoï emploie lui aussi des images imprégnées d’absurdités dans la scène finale, quand d’Urfé fuit la famille de Sdenka
[…] j’aperçus le vieux Gorcha qui se servait de son pieu pour faire des bonds comme les montagnards tyroliens quand ils franchissent les abîmes. Gorcha aussi resta en arrière. Alors sa belle-fille, qui traînait ses enfants après elle, lui en jeta un qu’il reçut au bout de son pieu. S’en servant comme d’une baliste, il lança de toutes ses forces l’enfant après moi. J’évitai le coup, mais avec un véritable instinct de bouledogue, le petit crapaud s’attacha au cou de mon cheval, et j’eus de la peine à l’en arracher. (2012 : 134)
Lequesne est du même avis :
la métamorphose d’un conte français en conte russe, la métamorphose du réalisme et de la vraisemblance en un jaillissement d’image folles et obsédantes, — la métamorphose de la réalité en rêve, de l’angoisse en cauchemar (1993 : 12).
À l’exclusion des exemples cités, nous n’avons pu trouver d’autres points en commun.
Le conte « Vij » de Gogol est la dernière histoire parue avant que Tolstoï ait commencé l’écriture du « Vourdalak ». Ainsi termine donc la recherche des influences directes que Tolstoï aurait pu utiliser pour écrire « La Famille du Vourdalak ».
4. Logique de l’évocation du temps dans la narration (19)
Dans ce chapitre nous allons plonger avec un regard plus aigu dans « La Famille du Vourdalak ». Notre but n’est pas d’interpréter le récit, mais d’expliquer la logique de l’ouvrage et de ses origines.
Un lecteur attentif remarquera de prime abord l’incohérence des dates citées. Il est indiscutable que le Marquis situe son conte dans l’année 1815 (2012 : 95). Il débute son récit ainsi : « Je vous dirai donc sans autre préambule que, l’année 1759, j’étais éperdument amoureux de la jolie duchesse de Gramont » (2012 : 97). 1759 est donc l’année dans laquelle commence son aventure. Chaque lecteur est conscient de ce que, dans le récit, le temps s’écoule. D’Urfé traverse l’Europe, reste quelques temps avec la famille de Gorcha et y retourne après son voyage en Moldavie. Nous devrions pouvoir partir du principe que la fin de son aventure se situerait dans l’année 1760. Mais lorsque le Marquis revient auprès de la famille de Gorcha et vit un moment intime avec Sdenka, il énonce : « […] veuillez songer que ce que j’ai l’honneur de vous raconter se
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