Toulouse-Lautrec en rit encore
centrale.
— Vous êtes affirmative ?
— Voilà que vous mettez en doute la parole de mon défunt mari ?
Presque à contre-jour, Coustot s’était rencogné dans son fauteuil, laissant Mme Labatut s’agiter dans son salon tapissé de fanfreluches.
— Vous aviez des soucis d’argent ces temps-ci ? Vous avez reçu des menaces ?
— Qu’est-ce que vous insinuez ? Nous sommes des gens honnêtes, commissaire !
— Quand, pour la dernière fois, l’alarme s’est-elle mise en marche ?
— Je ne sais pas, moi. Il lui est arrivé souvent à mon pauvre René de se lever la nuit pour aller éteindre ce truc qui faisait un boucan terrible, souvent parce qu’une souris était passée devant un détecteur. Il faudrait demander à Dupuy, lui pourrait vous le dire !
— Quel type de rapport entretenait votre mari avec ce M. Dupuy.
— Oh, tout ce qu’il y a de plus cordial ! Paul est un peu dur de la feuille, mais c’est le garçon le plus gentil que je connaisse.
— Vous le fréquentiez hors du travail ?
— Pas vraiment. Vous savez, chacun a sa vie et les histoires de chacun ne nous regardent pas.
— De quelles histoires voulez-vous parler ?
— Rien en particulier, bredouilla la femme du concierge qui s’était enfin décidée à se débarrasser de son manteau.
— Tout de même, il n’est pas du genre très viril, ce Paul Dupuy ? renchérit Coustot.
— Vous voulez dire qu’il couche avec des…
— Des… ? appuya le policier que le manque de nicotine rendait nerveux.
— Des hommes, c’est ce que vous voulez me faire dire ? Chacun fait ce qu’il veut avec son c… ! Mais pourquoi vous me posez ce genre de questions ? Qu’est-ce que cela a à voir avec mon pauvre René ?
— Oh, moi, madame, je suis payé pour poser des questions et trouver des réponses à des interrogations qui n’intéressent personne, sauf peut-être le ministère public.
— Qu’est-ce qu’il a à voir avec le cambriolage, mon regretté mari ?
— Je serais tenté de dire rien, si ce n’est que, la nuit du fric-frac, le système d’alarme n’a pas été enclenché par ses soins et que, vous comme moi, pas plus a priori que vos fils, ne savons pourquoi votre époux a mis fin à ses jours.
C’est alors que Micheline Labatut alla chercher le mouchoir enfoui au plus profond de son manteau à martingale. À cet instant, Jean Dorléac entra dans la loge du concierge :
— Pauvre madame Labatut, je ne peux me résoudre à l’idée que René nous a définitivement quittés.
Le conservateur du musée Lautrec eut alors un geste de compassion en direction de cette femme à laquelle les deux fils indignes avaient laissé le soin de régler la facture des obsèques.
— Je vais voir avec les bonnes œuvres de la ville ce que nous pouvons faire, ajouta Dorléac qui détecta dans un coin de la pièce la présence insistante de Coustot.
— Ah, commissaire, je ne vous avais pas vu ! Déjà au travail ?
— La mort n’attend pas, c’est bien connu !
Dorléac ne releva pas l’allusion.
— Au fait, commissaire, avez-vous aperçu M. Cantarel ou son assistant ?
— Oui, il y a encore une demi-heure, ils étaient dans le jardin du palais, dissertant parmi les massifs d’hortensias. On aurait dit le cardinal de Bernis et son jeune diacre, railla Coustot avec ce cynisme qui lui servait de gabardine.
Jean Dorléac prit congé pour rejoindre, d’un pas pressé, les jardins suspendus où la rosée perlait sur chacun des rosiers encore en boutons.
— Monsieur Cantarel, je vous cherche depuis ce matin. C’est une catastrophe ! Je suis effondré…
— Que se passe-t-il encore, mon ami ? tempéra Séraphin.
Théo assistait à la scène en jubilant au creux de son écharpe en cachemire, un cadeau d’Hélène.
— Comment peut-on me faire ça ? À moi !…
— Mais quoi donc ? s’écria Cantarel, irrité par tant de préliminaires.
— Je viens d’avoir au téléphone mon homologue du musée Marmottan. Il s’oppose catégoriquement au transfert des toiles de Monet en raison, dit-il, d’« une protection des œuvres pour le moins aléatoire ». Il faut que vous interveniez, monsieur Cantarel. On ne peut pas annuler une telle exposition ! C’est tout mon crédit qui est en jeu !
— Rengainez votre fierté, s’il vous plaît, Dorléac ! Je vais voir ce qu’il convient de faire, mais une chose est sûre, vous n’allez pas pouvoir faire
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