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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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devait être un sacré excentrique ! renchérit Cantarel qui l’écoutait avec un plaisir non dissimulé, entrecoupé de gorgées de gaillac.
    — Imaginez, mes amis, qu’en ces temps-là, les voyages en train étaient sacrément longs !
    — Ils le sont toujours ! objecta Théo.
    — Oui, mais cette fois, le temps était caniculaire. Dans les compartiments, la chaleur était suffocante. Le comte décide alors d’enlever son gilet, dénoue sa cravate puis déboutonne sa chemise avant de se retrouver torse nu sur la banquette en molesquine de la très honorable Compagnie des chemins de fer du Midi. Sa belle musculature en séduit plus d’une. Mais Alphonse de Toulouse-Lautrec n’arrête pas là son effeuillage. Voilà qu’à présent, il ôte carrément son pantalon et se retrouve en caleçon de soie. Le contrôleur lui fait aussitôt remarquer son indécence, néanmoins l’aristocrate l’ignore de toute sa superbe… Dans son excentricité, le comte pousse l’outrage jusqu’à suspendre ses vêtements à la poignée extérieure du wagon, histoire prétendument de « les rafraîchir », mais la vitesse du train, à moins que ce ne soit le vent, fait vite s’envoler les vêtements de M. le comte !...
    — Vous voulez dire qu’il s’est retrouvé à moitié à poil dans le train ? résuma Théo, hilare.
    — Je ne vous le fais pas dire !
    — J’imagine la tête de la famille venue l’accueillir en gare d’Albi ! se gaussa Séraphin.
    — Précisément, sur le quai de la gare, c’était son frère cadet, Charles, du style collet monté et chapeau melon, qui l’attendait avec sa jardinière et son dévoué valet. Le premier était rouge de honte, le second riait dans sa barbe. Pas besoin de vous faire un dessin ! Et voilà que le comte de Toulouse-Lautrec descend en caleçon de la voiture de première classe, la hotte de son cormoran arrimée sur son dos, tenant à sa main droite la cage en osier du grand duc.
    — Je vois le genre ! s’amusa Théodore.
    Jean Dorléac poursuivit son récit :
    — Considérant d’un œil circonspect la vieille jument tractant la jardinière censée transporter ses malles, le comte Alphonse, n’étant pas à un scandale près, s’exclama : « Je préfère rentrer à la maison à pied plutôt que de me laisser traîner par une rosse pareille ! » Après maintes palabres, Charles finit par ramener son frère à la raison. Il lui jeta un veston sur ses épaules nues, le convainquit de s’asseoir sur la banquette de l’attelage et, ainsi, les frères Lautrec purent regagner leur hôtel particulier, non loin des anciens remparts de la ville. Le lendemain, dans tout Albi, il n’était plus question que de la dernière folie du comte Alphonse qui, non content de tromper sans scrupules sa femme Adèle, s’affichait nu, ou presque, dans la préfecture du Tarn. Décidément, ces sang- bleu ne savaient plus se tenir !
    Dorléac était un conteur-né. Il avait le sens du verbe, de l’anecdote, du détail. Cantarel n’avait rien lu de ses écrits journalistiques, si ce n’est ses textes hagiographiques concernant tel ou tel peintre qui avait eu les honneurs du musée Toulouse-Lautrec. Il prêtait à cet élu de la ville un talent de romancier auquel Dorléac avait répliqué :
    — Moi, romancier ? Vous plaisantez, monsieur Cantarel. J’ai si peu d’imagination…
    — C’est vrai que vous manquez quelque peu d’anticipation, railla le conservateur parisien.
    Théo se taisait. Était-ce la fatigue du voyage, les derniers rebondissements d’une affaire où la mort s’invitait, ou, plus simplement, l’abus de gaillac qui rendaient ses paupières si lourdes ? Toujours est-il qu’il aspirait maintenant à regagner son hôtel et à prendre une douche glacée avant de se glisser entre les draps toujours un peu rêches d’un lit au sommier trop dur. Séraphin Cantarel bâillait à son tour. La journée avait été bien longue et celle qui s’annonçait ne le serait pas moins. Dorléac proposa un nouveau verre. Théo et Séraphin refusèrent de concert. À peine une centaine de mètres séparait l’ Hostellerie Saint-Antoine du domicile du très lettré conservateur.
    Quelques pas sous un ciel saturé d’étoiles feraient oublier le caractère velouté de ce gaillac doux aux arômes de fruits secs et de pain d’épices dont les avait abreuvés avec une générosité excessive Jean Dorléac.
     
    À la salle des petits déjeuners du

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