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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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commissaire Coustot l’avaient intimidée, elle avait même sangloté avant d’enfouir son mouchoir bien au fond de sa poche. Elle parlait avec émotion de son bonheur avec René. Ils étaient heureux ici, au musée. M. le conservateur était gentil avec eux. Certes, son mari n’était pas très bien payé, mais ils étaient logés. Parfois même, René faisait les visites quand il y avait trop d’affluence. Il avait droit à quelques pourboires, cela améliorait l’ordinaire… Il avait lu beaucoup de choses sur Toulouse-Lautrec, et puis toutes ces femmes à moitié à poil dans les maisons de tolérance de Paris, cela l’excitait, vous comprenez… Il en rajoutait. Les visiteurs n’y voyaient que du feu !
    — Vous aviez remarqué chez lui des tendances suicidaires ?
    — Pas du tout, monsieur le commissaire ! Mon René, vous savez, c’était la joie de vivre. On avait des soucis comme tout le monde, mais pas de quoi se mettre la corde au cou !
    — Quel type de soucis ? insista Coustot.
    — Des fois, c’était pas facile de joindre les deux bouts. Et puis, on a eu deux fils qui nous ont causé bien du tracas. Ils sont au chômage tous les deux. Ni l’un ni l’autre n’est capable de garder sa place plus d’un mois. Par les temps qui courent, quand on a du boulot, on le garde, n’est-ce pas, commissaire ? Ça, mon René, ça le minait ! À chaque fois qu’ils viennent à la maison… Enfin, je veux dire à la conciergerie, ils en ramènent toujours une nouvelle. Des filles qui les plument ! Voyez le genre…
    Assis dans un fauteuil décati, le policier s’était abstenu de tout tabac. La porte de la chambre était entrebâillée. Le miroir de l’armoire en pitchpin renvoyait le profil sec et blême du pendu, allongé sur son lit de mort. On avait pris soin de nouer un foulard autour de son cou pour dissimuler toute trace de strangulation. Quelques heures plus tôt, le médecin légiste avait confirmé la thèse du suicide. Les relevés d’empreintes digitales sur la corde élimée confirmaient la préméditation du désespéré.
    À mesure que Micheline Labatut égrenait sa vie, Coustot ruminait ce que Dorléac lui avait dit le matin même.
    Le conservateur albigeois avait passé une nuit blanche. Les griefs déguisés de Cantarel, ajoutés au suicide du malheureux concierge, lui avaient barré les portes du sommeil. Jean Dorléac s’était souvenu que René Labatut, par quelque attrait morbide, s’attardait souvent sur une étrange affiche publiée dans les colonnes de La Dépêche pour illustrer un feuilleton. L’estampe, d’un réalisme étonnant, était intitulée Le Pendu . On y voyait un valet portant perruque, chandelier au poing, découvrant effaré le cadavre de son maître pendu à une corde. Le désespéré, vêtu d’une chemise blanche, portait sur son visage émacié les stigmates de la mort.
    Dans la mise en scène dont il avait soigné l’orchestration, René Labatut avait pris soin d’établir sa potence dans les réserves du musée. Là où sont minutieusement rangées dans des caisses en bois, à l’abri de la lumière, les œuvres mineures ou détériorées du peintre. Avant de passer à l’acte, il s’était débarrassé de la veste de son uniforme pour ne garder que sa chemise blanche, déboutonnée jusqu’au thorax. Cette théâtralisation était en tout point conforme à l’estampe de Lautrec. Étrange coïncidence.
    — Vous pouvez me confirmer, madame Labatut, que votre mari n’a jamais eu d’idées suicidaires ? insista l’homme de la PJ.
    — Si je vous le dis, monsieur le commissaire !
    — Il était souffrant ces derniers temps, non ?
    — Oui, il avait très souvent des crises de goutte qui le faisaient atrocement souffrir. Je lui disais pourtant de mettre la pédale douce sur le gaillac blanc !
    — Il ne vous écoutait pas ?
    — Il n’en faisait qu’à sa tête. Comme tous les hommes !
    — Dites-moi, cette affaire de cambriolage, cela ne l’avait pas perturbé quelque peu ?
    — Oh, que si ! Il ne comprenait pas pourquoi l’alarme ne s’était pas déclenchée.
    — Pour qu’elle se déclenche, encore aurait-il fallu qu’elle soit branchée. Or, dans la nuit de samedi à dimanche, il apparaît que le système d’alarme n’a pas été mis sous tension. Votre mari vous en a-t-il parlé ?
    — Pour lui, il avait dû y avoir un court-circuit, car il se souvenait parfaitement d’avoir enclenché la

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