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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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des croyances d’un autre siècle de sa malheureuse grand-mère. Bien qu’issu de la campagne, Théodore Trélissac ne passait pas pour un superstitieux. Que ce fût le spectre de Talleyrand, de Sarah Bernhardt ou celui de Toulouse-Lautrec qui s’invitât à la Berbie, pour sûr, il bondirait de sa cachette et lui sauterait au cou pour démasquer l’imposteur.
    Recroquevillé sur sa chaise, Théo sentait au fond des poches de son jean les deux piles Wonder qu’il avait achetées l’après-midi même dans la perspective d’une longue nuit. Sa lampe électrique accusait déjà quelques signes de faiblesse.
    Le livre en question portait la signature d’Édouard Julien. Ancien conservateur du musée albigeois, peintre à ses heures, l’auteur alignait d’une plume allègre quelques réminiscences couleur sépia :
    « Dans mes lointains souvenirs, je retrouve, vivante, la silhouette disgraciée d’Henri de Toulouse-Lautrec, aperçue dans les rues d’Albi lorsque le peintre venait, pendant les vacances, se reposer auprès de sa famille, dans sa maison natale. Le comte Alphonse, père de l’artiste, était, lui, une figure albigeoise particulièrement originale […]. Les fantaisies auxquelles il se livrait excitaient notre joie d’enfants, surtout lorsqu’il nous invitait à y participer. Je le revois lorsqu’il vint un jour nous attendre à la sortie du lycée portant sur ses larges épaules de gracieux et fragiles cerfs-volants japonais qu’il nous invita à faire évoluer autour de la cathédrale Sainte-Cécile pour essayer d’atteindre la hauteur du clocher. Nous retrouvions infailliblement le comte devant les baraques foraines et autres ménageries […]. Il devint un soir la vedette imprévue au cours d’une représentation donnée par le cirque Bureau de notre ville. La toute jeune fille du directeur y faisait ses premières acrobaties équestres, attachée par précaution à une corde que tenait son père, prêt à intervenir en cas de défaillance. Dès que la gracieuse écuyère eut regagné les coulisses, aux applaudissements de la foule, on vit avec stupéfaction entrer en piste le comte flanqué d’un jeune cousin, baron aveyronnais. Celui-ci prit sur le cheval le rôle de la fillette, tandis que le comte, avec un sérieux imperturbable, tenait celui du père Bureau. Les essais méritoires et renouvelés des deux partenaires aboutirent à un échec spectaculaire, pour la plus grande joie du public et celle des gens du cirque. Indifférent à la critique, ce parfait gentilhomme qu’était le comte vivait pour satisfaire sa fantaisie, ses caprices, gardant en toute circonstance une dignité impassible. On a pourtant multiplié à plaisir ses excentricités. Beaucoup tiennent de la légende. »
    Théo attendit quatre bonnes heures avant d’entendre le moindre écho dans ce silence sépulcral. Le récit d’Édouard Julien relatant la vie du peintre ne comportait aucun fait que Trélissac ne connût déjà, si ce n’est peut-être le caractère héréditaire du handicap dont fut victime, malgré lui, l’héritier des Toulouse-Lautrec. Que le petit Henri fût né une nuit d’orage où Albi était sous une pluie de hallebardes et un ciel zébré d’éclairs paraît être un fait à peine discutable. Qu’il fût beau à la naissance, rien n’indique le contraire parmi les témoignages des domestiques de la maison Lautrec. Que sa mère le protégeât à l’excès pour oublier les outrages que lui imposait son mari frivole n’est pas contestable non plus.
    « La comtesse (née Adèle Tapié de Céleyran), délaissée, trompée, bafouée, retourna à Albi après avoir vécu à Loury-aux-Bois, en forêt d’Orléans (où le comte Alphonse chassait le gros gibier), après avoir perdu un deuxième enfant, Richard, décédé un an après avoir été enfanté. Mère attentive et cultivée, elle était résolue à élever seule Henri, plutôt chétif et malingre, dans le Sud-Ouest. Mais le comte, une fois encore imposant sa volonté, décida que la famille s’installerait à Paris. Le goût pour le dessin que manifeste Henri depuis sa plus tendre enfance devient un besoin impérieux. Les marges des cahiers du jeune écolier, celles de ses livres même, sont abondamment illustrées de croquis pleins d’esprit et de vérité, où les chevaux dominent […]. Partout Henri se montre gai, turbulent, espiègle. Il fait la joie de la petite troupe de ses cousins et cousines qu’il commande en

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