Toulouse-Lautrec en rit encore
délicat secret : « Jure-moi de ne le dire à personne, dit-elle. Je suis accompagnée d’un ange qui veille jusqu’à la fin des temps sur moi. Si tu me touches, tu déclencheras ses foudres et tu souffriras. Si tu respectes ma décision, il t’aimera comme il m’aime. » Quelque peu incrédule, Valérien lui commanda : « Montre-moi cet ange ! », ce à quoi Cécile répondit : « Si tu crois en Dieu et que tu deviens baptisé, il t’apparaîtra. » Valérien finit par se plier aux injonctions de sa jeune épouse et ne consomma pas leur union. Vous imaginez, messieurs, le sacrifice…
Fernand Coustot demeurait impassible face à ce qui n’était à ses yeux que sornettes et légendes pour bigotes.
— … Avec la complicité du pape saint Urbain, Cécile réussit à convertir son époux au christianisme et le fit baptiser. Au lendemain du baptême, il trouva sa femme en conversation avec un ange aux ailes de feu. L’ange couronna Cécile de roses et Valérien de lilas. Il leur chuchota à l’oreille : « Recevez ces couronnes, elles sont un signe du Ciel. Jamais elles ne sécheront ni ne perdront leurs doux parfums. Quant à toi, Valérien, demande-moi ce que tu veux et tu l’obtiendras. » Le nouveau converti formula le vœu que son frère Tiburce, auquel il était très lié, l’accompagne dans sa foi. Il en fut ainsi et le frère de Valérien renonça à ses faux dieux pour ne plus croire qu’en un dieu unique.
— Un peu fleur bleue, votre histoire, monsieur Cubayne ! s’autorisa Séraphin.
— Je dirais plutôt que c’est une histoire à l’eau de rose… ironisa à son tour Théo, en glissant sa main dans l’encolure de son pull comme le font parfois les garçons peu sûrs de leur séduction.
— Je vous rassure, messieurs, la suite est plus… dramatique. Je passe donc sur la période où Valérien et Cécile s’appliquèrent à rester chastes pour ne se vouer qu’aux bonnes œuvres. La jeune fille chantait les louanges de Dieu et jouait de la musique, Valérien l’accompagnant au nom d’un bel amour, jamais vraiment consommé…
— Aux faits ! demanda Coustot, comme s’il s’agissait d’un interrogatoire de police.
— J’y viens, répliqua Cubayne. C’était l’époque où l’empereur persécutait les chrétiens. Cécile et son époux s’employaient à ensevelir les corps des martyrs dans les catacombes de Rome. Ils furent arrêtés par les centurions à la solde d’Alexandre Sévère. Le préfet Almachius les incita à abjurer sur-le-champ. Ils renoncèrent et furent aussitôt condamnés à être décapités après flagellation…
Le conteur distillait son histoire avec un art consommé du suspense :
— … Toujours est-il que Valérien, son chaste époux, ainsi que son frère récemment converti furent décapités et que Cécile continua à prêcher la bonne parole tout en ensevelissant les « élus de Dieu » soumis au glaive inquisiteur de l’empereur romain.
— Elle était trop belle pour mourir la gorge tranchée, pronostiqua Théo.
— Vous ne croyez pas si bien dire, jeune homme ! Condamnée à mort, Cécile ne pouvait être exécutée sur la place publique. On décida alors de l’enfermer dans un sudatorium…
À l’évidence, le commissaire Coustot n’avait pas fait de latin. Il accusa une légère grimace et Cubayne se fendit d’une explication de texte :
— C’était une pièce que l’on trouvait dans les villas romaines des riches patriciens où l’on pratiquait ce que l’on appelle aujourd’hui les bains de vapeur. Les centurions furent chargés de surchauffer les foyers. Mais ni la chaleur ni les fortes vapeurs n’eurent raison de la belle Cécile.
Coustot ne broncha pas. Alors l’expert enchaîna son récit :
— À la vue de la sainte au visage sublime et aux yeux clos, le soldat dépêché pour occire la jeune chrétienne se mit à trembler et frappa à trois reprises sans toutefois réussir à la décapiter. La loi romaine interdisant un quatrième coup, Cécile fut abandonnée dans le sudatorium de sa villa. Aussitôt, des chrétiens accoururent à son domicile, pansèrent ses blessures, l’habillèrent de vêtements en lin alors que la malheureuse agonisait. Pendant trois jours, elle n’eut de cesse de proclamer sa foi en Dieu. Quand le pape saint Urbain se rendit à son chevet, elle fit don de sa maison pour que l’on y construisît une église et légua tous ses biens aux pauvres de
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