Toulouse-Lautrec en rit encore
Rome. Puis, dans un dernier sourire lumineux, Cécile expira.
Un silence ponctua la narration. Que l’histoire fût vraie ou une pure fiction manigancée par l’Église importait finalement assez peu. Séraphin regretta que son épouse n’ait pas assisté à ce récit épique. Il n’était pas sûr de restituer auprès d’Hélène tous les détails dont l’expert avait enjolivé son histoire. Même Coustot, que Cantarel soupçonnait d’être un fieffé mécréant, s’était laissé séduire par cette troublante Cécile qui n’avait connu que Dieu pour amant.
Quand Jean Dorléac s’immisça au sein du quatuor, qui, pendant quelques minutes, avait revécu les heures de la bienheureuse Cécile, il avait l’air d’un intrus.
— Que se passe-t-il, messieurs ? Ne me dites pas qu’un nouveau faux s’est glissé parmi nos collections ?
— Je vous rassure, cher ami, M. Cubayne est formel sur l’authenticité des œuvres présentées au public, précisa d’emblée Cantarel.
— En ce cas, peut-on envisager la réouverture du musée dès lors que le nouveau système de sécurité sera réinstallé ? C’est une affaire de quarante-huit heures, m’a-t-on assuré !
Séraphin examina Coustot avant de lâcher son verdict :
— Je n’y vois pas d’objection, dès lors que les trois tableaux manquants seront remplacés, certes par des œuvres de moindre intérêt, et que le palais aura été « sécurisé ». Ce terme est affreux, mais je n’en vois pas d’autres… À moins que le commissaire Coustot n’émette une réserve particulière ?
Le policier se contenta d’opiner du bonnet.
— Je peux donc prévenir Mlle Combarieu d’une réouverture probable ce samedi ?
Séraphin fit de la tête un signe d’approbation.
— Voilà qui va calmer les esprits à la mairie. Le premier magistrat commençait à se faire du souci sur le manque à gagner que constituait la fermeture prolongée du musée…
Quand Coustot et Cubayne se retirèrent, Dorléac se précipita vers Cantarel et Trélissac comme pour comploter :
— Monsieur, ma femme et moi-même aurions plaisir à vous inviter, vous et votre épouse, à dîner demain soir. Ainsi que M. Trélissac, cela va de soi…
Avec des gestes affables, Cantarel s’empressa de le remercier pour cette chaleureuse invitation.
— Vous aurez ainsi l’occasion de faire connaissance avec ma fille unique. Elle vient de réussir son examen d’entrée aux Beaux-Arts de Toulouse…
— Félicitations ! s’empressa d’ajouter Séraphin.
— Comment se prénomme-t-elle ? demanda le jeune Trélissac.
— Cécile, répondit fièrement Dorléac.
À l’énoncé de ce doux prénom, Théo était déjà aux anges.
8
Étaient-ce d’anciennes latrines ou un renfoncement dans un mur épais destiné jadis à abriter un moinillon, lequel devait satisfaire, de jour comme de nuit, les sollicitations expresses de Mgr l’évêque d’Albi ?
Toujours est-il que Théo s’installa dans ce cagibi étroit et un peu humide, isolé d’une des grandes salles d’exposition par une simple tenture de velours rouge. Pour tout confort, une chaise paillée, une lampe électrique et un livre que le jeune assistant de Séraphin Cantarel avait pris soin d’embarquer sous son blouson. La planque risquait d’être longue.
Le musée était désert – et pour cause ! – et la nuit se répandait comme un flot d’encre dans les ruelles du Vieil-Albi.
Théo s’était bien gardé d’évoquer cette initiative auprès de son patron, mais il en rêvait depuis longtemps. Se laisser nuitamment enfermer dans un musée, quelle expérience ! Il aurait tant aimé se perdre dans la section des Antiquités égyptiennes du Louvre ou, plus classiquement, au musée des Augustins de Toulouse, quand l’obscurité habille les statues de marbre et que seule la clarté lunaire tient fébrilement compagnie à ces œuvres d’art si convoitées le jour exclusivement.
Il convenait de ne pas attirer l’attention de quiconque, de se faire souris et d’attendre l’instant où le gardien ferait sa ronde puis disparaîtrait derrière l’ogive d’une porte.
Théo déploya l’ouvrage destiné à étancher sa curiosité, le temps que le fantôme de Lautrec vienne hanter ces murs. Il ne tarderait pas à claudiquer sur les parquets soigneusement lustrés mais passablement disjoints du vieux musée. Lazaret en était convaincu sans toutefois avoir pu apporter la preuve tangible
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