Toulouse-Lautrec en rit encore
métallique, rongé par la rouille, hébergeant parfois quelques vagabonds ou clochards.
Plus rarement, le cabanon était le théâtre des amours interdites. C’était à la Gravière que les gamins d’Albi fumaient leurs premières cigarettes, souvent leurs premiers joints. C’était aussi là que les jeunes filles abandonnaient leur pucelage.
— Allez à la Gravière, vous y trouverez ce que vous cherchez ! tel était le message laconique qu’avait reçu le matin même Mlle Combarieu.
Une voix masculine et grave précédée d’un long soupir.
— Mais, monsieur, qui êtes-vous ?… avait insisté la secrétaire du musée, interloquée.
Le correspondant avait déjà raccroché.
Aussitôt, Mlle Combarieu avait investi le bureau du conservateur et lui avait narré d’une voix chevrotante ce coup de fil aussi anonyme que bref. La malheureuse était toute retournée et tremblait encore comme si elle avait été victime d’une prise d’otages.
— Calmez-vous, Denise ! C’est certainement l’œuvre d’un plaisantin, mais je vais tout de même prévenir Coustot et alerter M. Cantarel.
Jean Dorléac téléphona aussitôt au policier qui accourut dans le quart d’heure suivant. Séraphin interrompit sa énième visite de la cathédrale Sainte-Cécile en compagnie d’Hélène. Quant à Théo, il fallut laisser sonner le téléphone plus de dix minutes dans sa chambre d’hôtel pour qu’il daigne enfin décrocher. Il est vrai que sa nuit avait été courte, quoique riche d’enseignements.
Coustot partageait le scepticisme de Dorléac. Pourtant, il n’était pas question d’ignorer cette piste, si fantaisiste fût-elle.
— Savez-vous où est située cette foutue Gravière ? demanda-t-il, irrité.
— C’est à trois ou quatre kilomètres de la ville. On peut prendre ma voiture. Mais je vous préviens, les amis, il va falloir marcher un peu, car l’accès est impossible à tout véhicule.
— C’est parfait ! dit Séraphin. J’avais justement envie de me dégourdir les jambes. Pas vous, Théo ?
— Oh, moi, j’ai passé une nuit blanche…
— Malade ?
— Pas exactement, je vous raconterai cela plus tard, patron.
— Vous êtes incorrigible, Théo !
Le commissaire Coustot avait déjà enfilé sa gabardine. Dorléac l’imita, mais ne put s’empêcher de marmonner :
— Mes Lautrec à la Gravière. Je n’y crois pas !
— Pour ne rien vous cacher, moi non plus ! renchérit Cantarel. Néanmoins, imaginez que nous retrouvions deux des tableaux volés, vous seriez, passez-moi l’expression, sur le cul !
— Et pourquoi pas les trois ? demanda Dorléac.
— Parce que les vols ont été commis séparément et que j’ai du mal à concevoir un voleur repentant qui remettrait l’intégralité de son butin dans un endroit aussi sordide qu’une cabane pour marginal en mal de sensations fortes…
— C’est aussi mon avis, approuva le garant des œuvres de Lautrec.
Pendant que chacun avançait en direction de l’ancienne gravière désaffectée, Coustot se taisait. Cette histoire était vraisemblablement un canular destiné à lui faire perdre son temps. Pourquoi n’avait-il pas ordonné la mise sur écoute téléphonique du musée, mais aussi et surtout de la totalité du personnel de la Berbie ? Puisqu’il était convaincu que les vols avaient bénéficié d’une complicité à l’intérieur du musée, il convenait de battre le fer très vite et de verrouiller toutes les hypothèses. Avec un peu d’anticipation, il aurait pu localiser cet appel anonyme et coffrer le corbeau qui le conduisait tout droit vers une piste des plus fumeuses.
Le rapace n’en finissait pas de tournoyer au-dessus des peupliers calcinés qui jalonnaient l’affluent de la Garonne. La Gravière était désormais en vue. Dans une poignée de minutes, l’équipée serait sur les lieux. Déjà le toit rouillé de la cabane émergeait parmi une frondaison d’arbrisseaux au vert tendre. Le ciel alternait nuages de plomb et napperons bleus. Le Tarn exhalait une odeur de vase qui écœurait Séraphin.
Le lieu paraissait désert. Un raton laveur fusa entre les pieds de Dorléac, qui poussa un cri.
— Saloperie ! s’écria l’autochtone en cherchant désespérément sa pochette pour essuyer son front en nage.
— Je croyais que ce type de bestiole ne sortait que la nuit ? s’étonna Trélissac.
— Il a dû sentir une charogne, pronostiqua Cantarel, pas
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