Toulouse-Lautrec en rit encore
mécontent d’arriver au terme de cette escapade forcée.
L’abri était bien plus grand et plus isolé que ne l’avait dit Dorléac. On aurait dit un immense tunnel en tôle, compartimenté en trois parties, ancré au cœur d’une peupleraie en friche. Une seule porte donnait accès à cet ancien abri de chantier. Il y avait longtemps que le cadenas avait été forcé et que l’espace était ouvert à tout vent.
Les quatre hommes s’approchèrent de l’affreuse construction métallique, une véritable insulte à la nature.
— À vous l’honneur, Dorléac ! ordonna Coustot qui profita de la perplexité de chacun pour allumer une Gitane.
— Si nous avons affaire à de véritables amateurs d’art, nous allons retrouver les toiles roulées, ironisa Séraphin Cantarel, qui suivit Dorléac dans sa frileuse exploration des lieux.
Le temps pour chacun de s’habituer à la pénombre qui emplissait cet espace jonché de vieux journaux, de bouteilles fracassées et de canettes de bière éventrées, et la fouille pourrait commencer. La Gravière s’apparentait davantage à un squat qu’à une cabane pour amoureux transis.
— Quel foutoir ! déclara Théo.
Dans un coin de la première pièce, un sommier pisseux avait dû servir maintes fois de paillasse à des zonards et autres inconditionnels de la cloche.
La deuxième pièce n’était guère plus hospitalière. Autour d’un brasero, des caisses en bois constituaient l’unique mobilier de ce taudis encombré de revues pornographiques et de Paris-Turf en lambeaux.
Coustot usa de son briquet pour scruter d’une flamme vacillante les recoins de ce repaire qui sentait atrocement l’urine et les pommes pourries.
— C’est un canular, vous dis-je ! maugréa Jean Dorléac.
Séraphin ne pipait mot, cherchant obstinément un indice, un carton, une caisse, où ses Lautrec auraient trouvé refuge. Peine perdue. Il n’y avait rien qui vaille dans ce fatras que même un biffin aurait renié.
— Messieurs, nous perdons notre temps ! fit remarquer le commissaire, furax. Je suis persuadé qu’à quelques mètres d’ici, un gars, derrière ses jumelles, doit à nos dépens se marrer comme un bossu. Si je lui tombe dessus, je lui fais bouffer toute la merde accumulée dans ce nid à rats !
— Qu’est-ce que ça schlingue ! pesta Théo, qui avait entrepris d’explorer la troisième pièce, aussi sombre qu’un cul-de-basse-fosse.
— Laissez tomber, Théo. Ne perdons pas notre temps dans ce taudis ! ordonna Cantarel.
— Passez-moi votre briquet, commissaire !
Fernand Coustot bougonna quelque peu avant de s’exécuter.
— J’ai envie de gerber, tellement ça sent mauvais ! persista l’assistant de Cantarel qui ne cessait d’éteindre et de rallumer le briquet pour ne pas se brûler les doigts.
Son ombre dansait sur les parois quand soudain une silhouette féminine, couchée en chien de fusil, se dessina devant lui.
— Putain, il y a une gonzesse qui dort ici !…
À cran, l’inspecteur pénétra à son tour dans cette tanière d’où émanait, il est vrai, une odeur pestilentielle. Comme pour déloger l’intruse, il jeta un coup de pied dans les tibias de la femme, allongée à même le sol dans un magnifique fourreau de soie couleur fuchsia.
Le corps était inerte, flasque. Sans vie. Coustot promena sa flamme au-dessus du visage de la malheureuse : peau parcheminée, yeux révulsés, lèvres maculées de sang caillé, traces évidentes de strangulation.
— Étranglée avec un câble d’acier ! diagnostiqua Coustot qui, du coup, en avait laissé tomber son mégot.
Pétrifié, Trélissac avait sous les yeux un cadavre sur lequel la mort avait commencé son inexorable travail de putréfaction. Il fit un pas en arrière avant d’aller vomir tripes et boyaux dans un coin obscur.
Dorléac et Cantarel n’osaient avancer. Alors que le premier était en proie à de nouvelles sueurs froides, le second lustrait avec sa pochette en lin ses délicates lunettes cerclées d’or.
— Aidez-moi, monsieur Trélissac, à tirer le corps à la lumière du jour ! demanda Coustot.
— Accordez-moi une minute, commissaire. Que je reprenne un peu mes esprits ! supplia Théo.
— Vous êtes un garçon sensible, je sais… Vous vous attendiez à retrouver votre Lautrec , votre Routy ou Gabriel de Céleyran , et vous avez droit au cadavre d’une femme sans âge qui n’a pas su échapper à la perversité de son assassin.
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