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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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1800, par les romans de Tolstoï et par ceux de Tourguéniev. Ils n'étaient ni plus, ni moins cruels que les seigneurs français qui avaient vécu quelques siècles avant eux. Leur malheur était d'être anachroniques. Il y avait parmi eux quelques monstres, très rares; beaucoup d'hommes justes et inquiets, comme le Bezoukhow de Guerre et Paix; la plupart, débonnaires, inertes, ne connaissaient pas leurs paysans, ne souhaitaient pas les connaître et d'ailleurs, pour ne pas s'en occuper eux-mêmes, déléguaient leurs pouvoirs à des intendants. En fait il en était du servage en Russie comme de l'esclavage à Rome, ou de la condition des nègres aux Etats-Unis avant la guerre de Sécession. Chez certains maîtres c'était une institution patriarcale, chez d'autres un régime de dangereux caprice.
    Au début du dix-neuvième siècle, le règne d'Alexandre I er , souverain mystique, n'avait rien changé. Pendant quelques années on avait pu penser qu'Alexandre serait un réformateur. Mais cet empereur dévot croyait que la Providence « se servait de lui comme instrument, pourchâtier la méchanceté de Napoléon. » Fanatique de sa propre mission, il en vint à considérer toute opposition comme un sacrilège, et, surtout après la révolte du régiment Semenovsky, devint aigri et défiant. Il se crut victime de l'ingratitude de ses sujets et leur affranchissement cessa de l'intéresser. Au moment de la naissance de Tourguéniev, en 1818, la Russie est un pays d'autocratie absolue et naïvement impitoyable.
    Deuxième trait. La liberté de pensée n'y existe pas. Les Universités russes ont été épurées, à la fois au point de vue politique et au point de vue religieux. « La religiosité d'Alexandre avait fait naître, au sein de la société russe, un mysticisme hypocrite. » Il était interdit d'enseigner les doctrines astronomiques ou géologiques modernes ; il était prescrit de mêler des prières aux conférences minéralogiques. Le professeur de littérature devait démontrer la supériorité littéraire de la Bible sur tous les auteurs profanes. Le professeur d'économie politique devait insister « sur les vertus qui transforment les biens matériels en biens spirituels ». A la Faculté de médecine, les dissections n'étaient pas autorisées. Naturellement on ne pouvait publier aucun écrit sans le soumettre à une censure étroite. Il était défendu de critiquer « les acteurs de Sa Majesté 1 ». « Un paysan des environs de Paris ou un petit-bourgeois de chez nous, écrivait Custine, est plus libre que ne l'est un seigneur en Russie. »
    A la mort d'Alexandre, son successeur, Nicolas I er , aurait peut-être souhaité un régime plus moderne, mais il dut, dès le jour de son avènement, lutter contre ce tragique et pitoyable complot de Décembre où les soldats criaient : « Vive la Constitution ! » en croyantque c'était la femme du grand-duc Constantin. Ainsi les premiers actes publics d'un empereur qui avait l'âme naturellement généreuse furent de tirer le canon contre son peuple et de pendre des conjurés. Ce tsar, si grand que ses ennemis mêmes le combattaient plutôt comme un dieu que comme un homme, si beau que Custine pouvait écrire : « Deux choses et une personne valent la peine d'être vues en Russie : la Néva de Pétersbourg pendant les jours sans nuit, le Kremlin de Moscou au clair de lune, et l'empereur de Russie... », se crut dès lors contraint de n'employer son héroïsme qu'à la défense de sa couronne. Il devint un romantique de l'absolutisme, un « Don Quichotte de l'autocratie ». Il prit pour devise : « Orthodoxie, Autocratie, Nationalité ». Il gouverna militairement l'Eglise et fit présider le Saint-Synode par un général de hussards. Malgré lui il fut un dompteur de révolutions et essaya, pendant toute sa vie, « d'entourer d'une sorte de muraille de Chine » la Russie intellectuelle. D'ailleurs, que savait l'empereur? Tourguéniev a raconté quelque part que l'étiquette interdisait au tsar de lire un livre avant que celui-ci n'ait été recopié pour lui, à la main et d'une certaine écriture officielle. Custine décrit un voyage de l'impératrice Catherine au Caucase, voyage pendant lequel, pour lui donner l'illusion de la prospérité, alors qu'elle traversait des campagnes ruinées, on avait fait construire le long de la route des villages en carton peint. Les esprits, comme les campagnes, ne montraient guère au tsar que des surfaces

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