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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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exorde, je commence 5 . » Il n'alla pas plus loin.
    Inquiétude métaphysique et inquiétude sensuelle naissent presque toujours en même temps dans une âme d'adolescent. La maison était pleine de jolies filles, qui étaient à la merci de leur jeune maître. Ce furent ses premières expériences. Longtemps après, au dîner Magny, il les décrivit aux Goncourt, à Daudet, à Flaubert : « J'étais tout jeunet, j'étais vierge, avec les désirs qu'on a, lors de ses quinze ans. Il y avait, chez ma mère, une femme de chambre jolie, ayant l'air bête, mais vous savez, il y a quelques figures où l'air bête met une grandeur. C'était par un jour humide, mou, pluvieux, un de ces jours érotiques que vient de peindre Daudet. Le crépuscule commençait à tomber. Je me promenais dans le jardin. Je vois tout à coup cette fille venir droit à moi et me prendre — j'étais son maître et là, elle, c'était une esclave — me prendre par les cheveux de la nuque, en me disant : "Viens !" Ce qui suitest une sensation semblable à toutes les sensations que nous avons éprouvées. Mais ce doux empoignement de mes cheveux, avec ce seul mot, quelquefois cela me revient, et d'y penser, ça me rend tout heureux. »
    Il était alors un surprenant mélange de sensualité et de sentimentalité. « Je me souviens qu'en ce temps-là l'image d'une femme, le fantôme de l'amour, ne se dressaient presque jamais dans mon esprit avec des contours bien définis. Mais dans tout ce que je pensais, dans tout ce que je ressentais, se cachait cependant un pressentiment à demi conscient et poétique, de quelque chose d'inconnu, d'inexpressiblement doux et féminin. » A Flaubert, il parla des yeux de la première femme qu'il avait aimée comme d'une chose tout à fait immatérielle. « Moi, lui dit-il, ma vie est saturée de féminité. Il n'y a ni livre, ni quoi que ce soit au monde qui ait pu me tenir lieu et place de la femme... Comment exprimer cela? Je trouve qu'il n'y a que l'amour qui produise un certain épanouissement de l'être que rien ne donne, hein?... Tenez, j'ai eu tout jeune homme une maîtresse, une meunière des environs de Saint-Pétersbourg, que je voyais dans mes chasses. Elle était charmante, toute blanche, avec un trait dans l'œil, ce qui est assez commun chez nous. Elle ne voulait rien accepter de moi. Cependant, un jour, elle me dit : "Il faut que vous me fassiez un cadeau. — Qu'est-ce que vous voulez? — Rapportez-moi de Pétersbourg un savon parfumé." Je lui apporte le savon. Elle le prend, disparaît, revient les joues roses d'émotion, et murmure en me tendant ses mains, gentiment odorantes : "Embrassez-moi les mains comme vous embrassez, dans les salons, les mains des dames de Saint-Pétersbourg." Je me jetai à ses genoux, et vous savez, il n'y a pas un instant dans ma vie qui vaille celui-là. »
    Nous commençons à entrevoir ce Tourguéniev de dix-huit ans, ce géant aux pouces trop petits, signe de faiblesse. (Il regardait lui-même ses pouces en disant : « Comment vouloir, avec des mains comme celles-là? »). Il avait cet air « ingénument joyeux, confiant, un peu niais au premier abord, auquel on reconnaît les enfants des nobles de la steppe, nés et élevés en pleine nature... Une démarche un peu hésitante, un sourire défiant dès qu'on le regardait, enfin bonne humeur, santé, mollesse et encore mollesse... » Son père était mort, mais Varvara Petrovna, très vivante, exerçait l'autorité paternelle. Elle avait, comme beaucoup de Russes, un grand mépris pour les Universités de son pays. Toute science venait alors de Berlin. Elle décida d'envoyer son fils terminer ses études en Allemagne.
    A Berlin, il trouva une colonie de jeunes Russes dont le chef intellectuel était Stankévitch. Plus tard il y vit arriver deux hommes qui devaient jouer dans sa vie un grand rôle : Alexandre Herzen et Bakounine. Herzen, fils naturel d'un propriétaire russe, Iacovlef, et d'une jolie Wurtembourgeoise (on lui avait donné ce nom de Herzen pour marquer la part que le cœur avait pris à sa naissance) 6 avait déjà, bien qu'il n'eût que vingt-quatre ans, été exilé de Russie pour ses opinions. Bakounine, personnage étonnant et complexe, présentait avec Tourguéniev une étrange symétrie de destinée et de nature. C'était, comme Tourguéniev, un fils de barine. Dans le domaine de Premoukhino, son père possédait douze cents âmes. Comme Tourguéniev aussi, Bakounine était un géant. Mais son

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