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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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sommes incapables de peindre l'amour. » Ils en étaient en effet incapables. « Ce n'est pas le talent qui leur manque, disait Tourguéniev, mais ils ne suivent pas la bonne route et ils imaginent trop. Leur littérature pue la littérature. »
    Tourguéniev, lui, avait été amoureux. Il s'était assis sur une des pattes de l'ours blanc. Il avait été « romanesque ». Dans son attitude envers Pauline Viardot il y avait eu quelque chose de chevaleresque. Amitié ou amour, il avait éprouvé ces sentiments passionnés et durables qui arrachent pour longtemps à toute mesquinerie celui qu'ils ont touché et qui donnent à l'âme « une couleur » si particulière que tout de suite, chez un homme d'Etat, chez un homme d'affaires, on reconnaît à une certaine sérénité généreuse celui qui a connu l'amour vrai. Une grande part de la qualité des livres de Tourguéniev venait de là.
    Sans doute la sensualité brutale est vraie, elle aussi,et elle est nécessaire. Il faut pourtant reconnaître qu'elle devient dans un roman d'une monotonie et d'un ennui incomparables. C'est un fait que tous les romanciers qui ont bien parlé de l'amour-passion, et je pense en ce moment à Stendhal au moins autant qu'à Tourguéniev, ont été des romanciers chastes. Proust lui-même, qui éclaire vivement l'action du mécanisme physiologique sur la vie sentimentale, le fait presque toujours avec une merveilleuse mesure et quand il renonce à cette mesure, échoue. Je le note non par préoccupation morale, car la morale et l'art sont étrangers l'un à l'autre, mais parce que cela révèle, me semble-t-il, une loi esthétique importante.
    ***
    Les traits que nous venons d'indiquer (désir de ne peindre que ce qu'il connaît bien lui-même, oeuvre traversée par les grands sentiments qu'il a éprouvés) pourraient faire attendre un art très subjectif. Tourguéniev soutenait au contraire qu'un romancier doit être objectif et « disparaître derrière ses héros ». « Il faut, disait-il à M. Taine, couper le cordon ombilical entre ses personnages et soi 1 . » A un jeune homme qui voulait se consacrer aux lettres et lui demandait conseil, il écrivait : « Si l'étude de la physionomie humaine, de la vie d'autrui, vous intéresse plus que l'expression de vos propres sentiments et de vos propres idées, s'il vous est plus agréable de peindre justement et exactement l'extérieur, non seulement de l'homme, mais encore d'une chose ordinaire, que de dire élégamment etchaudement ce que vous ressentez à l'aspect de cette chose ou de cet homme, cela veut dire que vous êtes un écrivain objectif et que vous pouvez entreprendre un conte ou un roman... »

    Cette attitude, qui fut celle de Flaubert comme de Tourguéniev, semble contraire aux méthodes des romanciers modernes. La plupart d'entre nous décrivent de façon toute subjective et cherchent à recréer chez le lecteur l'émotion provoquée par un événement grave plutôt en analysant cette émotion qu'en peignant les faits qui la provoquèrent. A la vérité les deux méthodes me semblent également acceptables et rien ne serait plus faux que de condamner Proust au nom de Tourguéniev. Pourquoi faudrait-il prendre parti entre l'écrivain objectif et l'écrivain subjectif? Il y a plus d'une manière de suggérer le monde. La vérité est, je crois, qu'un écrivain, si objectif qu'il veuille être, ne peut jamais empêcher sa personnalité de paraître à travers son œuvre. Un homme est marqué par un certain nombre de préoccupations. Elles se font jour malgré lui. Il est impossible de lire Meredith sans se rendre compte, ce qui était vrai, que Meredith dans son âge mûr avait été amoureux d'une jeune fille. Il y a chez lui dans les types de jeunes filles une grâce, une perfection, qui sont évidemment liées à un sentiment profond. De même à travers les romans de Tourguéniev on aperçoit très bien sa personnalité molle, sentimentale, honnête, son appel toujours vain vers une femme forte qui le contraindrait à la passion. C'est cette monotonie comme congénitale qui fait qu'une œuvre est vivante. On peut couper le cordon ombilical entre des personnages et l'imagination qui les a nourris ; on ne peut faire qu'ils n'aient une ressemblance naturelle avec leur créateur et qu'ils ne se ressemblent entre eux.
    D'ailleurs Tourguéniev était loin de s'interdire l'introspection. Il pensait qu'un artiste doit tout considérer, et jusqu'à lui-même, comme un sujet

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