Toute l’histoire du monde
perse, fondant au passage des villes, dont certaines portent encore son nom, telle Kandahar (. Iskan-dahar , Alexandrie en farsi), l’ex-capitale des Talibans. Cependant, Alexandre refusa d’en rester là. À la croisade grecque et au remplacement des Grands Rois succéda un troisième projet : la conquête du monde.
Cette idée n’était pas absurde. À l’époque, la phalange était invincible. Qui aurait pu lui résister après la défaite perse ? C’était aussi une armée démocratique – les soldats refusaient de se prosterner devant leur roi à la manière orientale – et une armée ultramoderne. On y trouvait des centaines de techniciens et d’ingénieurs, des topographes, des savants, des machines (un peu comme sera l’armée d’Égypte au temps de Bonaparte). De plus, Alexandre croyait le monde plus petit qu’il n’est, et le Pacifique plus proche. Il franchit donc les limites de l’empire perse et pénétra dans le sous-continent indien, où il battit le roi Poros, malgré les éléphants de guerre de ce dernier. C’était aux environs de l’actuelle Delhi. Mais là, il ne put aller plus loin. Pourquoi ?
Parce que son armée se mit en grève ! Les libres citoyens grecs en avaient assez. En -327, ils avaient quitté les bords de la mer Égée depuis neuf ans. Certes, ils gardaient des liaisons avec le pays – messagers, renforts -, mais ils étaient rassasiés de conquêtes. Alexandre se mit en colère, mais dut céder. Que peut faire un chef quand la grande majorité ne veut plus lui obéir ?
Nous découvrons là l’un des enseignements de l’histoire : tout pouvoir repose sur le consentement des subordonnés, et ce quelle que soit son organisation (démocratique ou tyrannique). L’obéissance est un mystère. Quand un peuple ne veut plus obéir, même les dictatures s’écroulent. (Ainsi disparaîtra bien plus tard l’Union soviétique, que les experts jugeaient quasi éternelle.)
Alexandre finit par se dire : « Je suis leur chef, il faut que je les suive », selon la dialectique de l’autorité et du consentement. Un chef peut entraîner, mais pas au-delà d’un certain point, pas sans un consentement à sa magistrature. La « motivation » avait fait le succès des Grecs contre les Perses. Aux Indes, ils n’étaient plus « motivés ». Alexandre fut donc obligé d’engager l’armée sur le chemin du retour. Ce sera un retour très difficile : descente de l’Indus en bateau, puis traversée des déserts torrides du Sud iranien, ou navigation dans l’océan Indien. Enfin Alexandre revint à Babylone, où il voulait établir la capitale du monde. Il y mourut en -323, à trente-trois ans, de paludisme et d’alcoolisme. Cette incroyable épopée avait duré dix ans et s’était déployée sur plus de 25 000 kilomètres.
L’homme était génial et fantasque – un peu « déjanté », dirait-on familièrement. Disciple de Dionysos, il buvait trop. Après un festin arrosé, il tua l’un de ses amis – ce que, désolé, il regretta amèrement. « Excessif » donc, mais d’une intelligence foudroyante. Humaniste, aussi, et dépourvu de cruauté. Le monde en gardera un souvenir ébloui, fulgurant. Grâce à lui, la civilisation grecque s’est répandue sur l’Eurasie et la langue grecque est devenue la langue commune, la koinè (le succès d’une langue est toujours lié à la puissance politique).
L’Inde en fut profondément marquée. Les Bouddhas géants de Bamiyan (que les Talibans ont fait sauter) portent le masque d’Apollon.
Le roi bouddhiste Ashoka (262-226), dont nous avons déjà parlé, était imprégné d’hellénisme en sa capitale de Taxila (au nord de l’actuel Pakistan).
La culture indienne – bouddhiste, puis hindouiste après la réaction brahmanique – restera liée à celle de la Méditerranée.
Les rois indiens avaient d’ailleurs, à cette époque, colonisé la vallée du Gange, devenue le centre de leur puissance, puis la péninsule du Dekkan. La culture indienne rayonnera jusqu’au Cambodge (les temples d’Angkor) et, par les marins indiens, le long des côtes, jusqu’en Indonésie (les temples de Borobudur).
Que se serait-il passé si Alexandre avait conquis la Chine ?
Il avait déjà fait les deux tiers du chemin. Non par le sud, où la Chine est séparée des Indes par les jungles birmanes, mais par le nord. D’Asie centrale, où Alexandre avait fondé Alexandrie d’Asie (aujourd’hui Tachkent), il n’y
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