Toute l’histoire du monde
quarante ans de plus que son rival] est déconcerté. Il calcule mal et donne constamment dans les pièges qu’on lui tend ; encore une victoire, et nous sommes maîtres de l’Italie.
« Dès l’instant que nous arrêterons nos mouvements, nous ferons habiller l’armée à neuf. Elle est toujours à faire peur, mais elle engraisse. Le soldat mange du pain de Gonesse, de la viande en quantité. La discipline se rétablit tous les jours, mais il faut parfois fusiller, car il est des hommes intraitables qui ne peuvent être commandés.
« Ce que nous avons pris à l’ennemi est incalculable. Plus vous m’enverrez d’hommes, plus je les nourrirai facilement.
« Je vous fais passer vingt tableaux des premiers maîtres, du Corrège et de Michel-Ange. Je vous dois des remerciements particuliers pour les attentions que vous voulez bien avoir pour ma femme. Je vous la recommande : elle est patriote sincère, et je l’aime à la folie…
« Je puis vous envoyer une douzaine de millions. Cela ne vous fera pas de mal pour l’armée du Rhin. Envoyez-moi quatre mille cavaliers sans les chevaux ; je les remonterai ici. Je ne vous cache pas que, depuis la mort de Stengel, je n’ai plus un officier supérieur de cavalerie qui se batte. Je désirerais que vous puissiez envoyer deux ou trois adjudants généraux qui aient du feu et une ferme résolution de ne jamais faire de savantes retraites. »
Cette lettre dit tout. Bonaparte parle au gouvernement avec autorité. Il ne cache pas sa passion pour Joséphine. Il fait main basse sur les trésors d’Italie, car il avait du goût (beaucoup de ces œuvres sont au Louvre). Il restaure la discipline. Il envoie de l’argent au gouvernement au lieu d’en demander – chose inouïe pour un général ! Il montre son ardeur en parlant d’officiers de cavalerie « qui aient du feu » et se moque des « savantes retraites » chères aux armées traditionnelles.
Dans une série de marches et de contre-marches – « Il fait la guerre avec nos pieds », disaient ses soldats ; de fait, le remplacement des chaussures sera pour Napoléon une constante préoccupation -, il collectionna des victoires qu’il prenait soin de faire « mousser ». C’était un artiste en communication. Il passa les Alpes au-dessus de Venise et s’en alla camper à cent kilomètres de Vienne. L’empereur s’affolant, Bonaparte lui imposa, sans trop consulter les ministres, la paix de Campoformio en octobre 1797. Puis il rentra en triomphateur à Paris, où l’on baptisa pour lui la place des Victoires ; il joua cependant les modestes.
Le Directoire était heureux des victoires, mais effrayé par le général victorieux. Le gouvernement conçut alors l’idée de l’expédition d’Égypte. Un coup double : on inquiétait l’Angleterre, restée seule en lice, en lui coupant la route des Indes ; et l’on éloignait un général dont on craignait qu’il ne prît le pouvoir.
Bonaparte était bien trop malin pour ignorer les arrière-pensées du gouvernement ; mais il savait aussi que les temps n’étaient pas mûrs pour lui. De plus, il était fasciné par l’Orient. Bref, il accepta. D’où, de mai 1798 à octobre 1799, sa fameuse campagne d’Égypte.
Malgré l’escadre anglaise de Nelson, la flotte française transportant l’armée traversa la Méditerranée sans encombre, conquérant Malte au passage, et débarqua le corps expéditionnaire près d’Alexandrie, dont il s’empara facilement. Puis, prenant la route du désert, l’armée se dirigea vers Le Caire. Au pied des Pyramides, la cavalerie « mamelouk » l’attendait. Les mamelouks constituaient une oligarchie sous la suzeraineté très nominale de l’empire ottoman. C’étaient les meilleurs cavaliers du monde. Chaque mamelouk combattait avec héroïsme (l’islam est une religion d’héroïsme, nous l’avons noté), mais sans véritable liaison avec les autres : chacun pour soi et Allah pour tous, pourrait-on dire.
Les chefs mamelouks avaient laissé les Français, qui marchaient à pied, s’avancer jusqu’au Caire pour mieux les écraser. Ils sous-estimaient et méprisaient les fantassins athées de la Révolution. Ils chargèrent en brandissant leurs cimeterres et en criant que Dieu est Grand. Face à eux, Bonaparte n’eut aucun besoin de stratégie. Cette bataille des Pyramides de juillet 1798 fut le choc de chevaliers du Moyen Âge et d’une armée de la fin du XVIII c siècle. Le
Weitere Kostenlose Bücher