Toute l’histoire du monde
« décalage temporel » était moindre que celui qui séparait les conquistadores de Pizarre des soldats incas. Il fut cependant ravageur. Groupée en carrés, l’infanterie révolutionnaire fit front. On entendait les officiers donner leurs ordres calmement : « Laissez-les approcher. Premier rang, feu. Deuxième rang, feu. -
Batterie numéro un, feu. Batterie deux, feu… Cessez le feu. – Pour un déplacement du carré de cent mètres vers la droite, sonnez tambours, etc. » Terrorisés, les mamelouks survivants s’enfuirent. Bonaparte entra au Caire en sultan vainqueur, le « sultan Kebir ».
Cette bataille, qui n’avait qu’une importance militaire limitée, eut une importance psychologique immense. Éberlué, l’Islam prit d’un coup conscience que les Européens avaient conquis le monde sans qu’il s’en aperçût.
Napoléon était le nouvel Alexandre. Homme des Lumières et de la Révolution, « Diderot à cheval », il s’était fait recevoir, après l’Italie, à l’Institut de France. Il avait emmené avec lui des dizaines et des dizaines de savants membres de l’Institut. Ces chercheurs redécouvrirent, éblouis, les monuments de l’Égypte ancienne, ensevelis sous les sables. Ils créèrent l’égyptologie et organisèrent la vallée du Nil. Les simples soldats se contentaient de graver leurs noms sur les colonnes de Louqsor ou d’Assouan. On les y voit encore : « Caporal Dupont, 2 e demi-brigade », etc.
Les Anglais et les Ottomans tentèrent de réagir. Nelson coula à Aboukir la majeure partie des bateaux français et une armée turque se forma en Syrie. Bonaparte se porta à sa rencontre. Il avait le projet, sa flotte étant désormais inutilisable, de rentrer en France en passant par Constantinople (et, pourquoi pas, de s’y proclamer sultan), ou bien de marcher sur les Indes anglaises (qui ne sont qu’à trente-trois étapes de l’Égypte). Il s’empara de Jérusalem, mais, faute de matériel de siège, échoua devant Saint-Jean-d’Acre, forteresse de Galilée dans laquelle Turcs et Anglais s’étaient retranchés (et que commandait, ironie du sort, Y un de ses condisciples de Brienne, noble émigré).
Bonaparte retourna au Caire. Là, il apprit que la situation en France avait évolué : l’anarchie intérieure grandissait et l’Autriche, revenue dans la guerre, chassait la République d’Italie. Laissant à Kléber le commandement de l’armée d’Égypte (qui sera rapatriée en France au moment des conventions d’armistice), Bonaparte jugea son heure venue. Il se jeta dans un navire et regagna la France.
En peu de temps, le pouvoir lui tomba entre les mains. Ce fut le 18 Brumaire (9 et 10 novembre 1799) – moins un coup d’État qu’un malentendu : les révolutionnaires cherchaient une épée républicaine ; ils trouvèrent un maître. Du même coup, le Directoire dissous, commença le Consulat. À trente ans, Bonaparte devenait Premier Consul, c’est-à-dire chef de l’État.
Il lui restait une formalité à accomplir : à Marengo, l’armée consulaire vainquit les Autrichiens dans une bataille difficile (juin 1800), où mourut le jeune général Desaix. En mars 1802, même l’Angleterre sembla renoncer (paix d’Amiens). La paix était revenue, validant du même coup les frontières naturelles de la France.
Restait à canaliser le puissant torrent révolutionnaire. Le Premier Consul y réussit pleinement, sauvegardant les acquis de la Révolution (égalité des droits, promotion au mérite, partage des biens ecclésiastiques) et répudiant ses excès. Il osa dire : « La Révolution s’est arrêtée aux limites que je lui ai fixées » – et c’était vrai.
Il sut pratiquer le « despotisme éclairé », qu’il avait appris de Voltaire. En juillet 1801, en signant un concordat avec le pape, il rétablit la paix religieuse.
Bonaparte n’était pas chrétien, mais il savait évaluer l’importance du fait religieux. Il le disait lui-même : « Je suis musulman au Caire, juif à Jérusalem, catholique en France. » Il créa l’État républicain actuel : le Conseil d’État (où il se rendait souvent), la Cour des comptes, les préfets, les lycées, les administrations modernes, et le franc germinal (monnaie qui restera stable pendant plus de cent ans). Surtout, il fit rédiger les acquis révolutionnaires dans son fameux Code civil.
Dans l’armée, dans l’administration, au gouvernement, il fit l’amalgame entre
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