Traité du Gouvernement civil
dissoudre.
122. Mais se soumettre aux lois d'un pays, vivre paisiblement, et jouir des privilèges et de la protection de ce pays, sont des circonstances qui ne rendent point un homme membre de la société qui y est établie : ce n'est qu'une protection locale, et qu'un hommage local, qui doivent se trouver entre des gens qui ne sont point en état de guerre. Mais cela ne rend pas plus un homme membre et sujet perpétuel d'une société, qu'un autre le serait de quelqu'un dans la famille duquel il trouverait bon de demeurer quelque temps, encore que pendant qu'il continuerait à y être, il fût obligé de se conformer aux règlements qu'on y suivrait. Aussi voyons-nous que les étrangers, qui passent toute leur vie dans d'autres États que ceux dont ils sont sujets, et jouissent des privilèges et de la protection qu'on y accorde; quoiqu'ils soient tenus, même en conscience, de se soumettre à l'administration qui y est établie, ne deviennent point néanmoins par là sujets ou membres de ces États. Rien ne peut rendre un homme membre d'une société, qu'une entrée actuelle, qu'un engagement positif, que des promesses et des conventions expresses. Or, voilà ce que je pense touchant le commencement des sociétés politiques, et touchant ce consentement qui rend quelqu'un membre d'une société politique.
<< Table des matières / Chapitre IX >>
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* Ce mot se trouve souvent dans l'Écriture pour signifier un grand poisson; mais suivant son origine, Leviat et Tan, il signifie un grand tout, composé de parties liées ensemble, ce qui a donné lieu au fameux Hobbes, d'intituler Leviathan son Traité du Gouvernement politique, auquel M. Locke fait ici allusion. (N.d.T.)
[1] Jug., XI, II.
[2] Jug., XII, 7.
[3] Jug., IX, 17.
[4] I. Sam., VIII. 20.
[5] IX. 16.
[6] X. I.
[7] V. 37.
* XIII. 34.
** 2. Sam. V. 2.
[8] « Dans le commencement, lorsque quelque sorte de gouvernement fut formée, il peut être arrivé qu'on n'ait fait autre chose que de remettre tout à la sagesse et à la discrétion de ceux qui étaient choisis pour gouverneurs. Mais ensuite, par l'expérience, les hommes ont reconnu que ce gouvernement auquel ils se trouvaient soumis était sujet à toutes sortes d'inconvénients, et que ce qu'ils avaient établi pour remédier à leurs maux, ne faisait que les augmenter, et on dit que, vivre selon la volonté d'un seul homme, c'est la cause ci la source de toutes les misères. C'est pourquoi ils ont fait des lois, dans lesquelles chacun pût contempler et lire son devoir, et connaître les peines que méritent ceux qui les violent. Hooker, Eccl. Pol. I, § 10. »
123. Si l'homme, dans l'état de nature, est aussi libre que j'ai dit, s'il est le seigneur absolu de sa personne et de ses possessions, égal au plus grand et sujet à personne; pourquoi se dépouille-t-il de sa liberté et de cet empire, pourquoi se soumet-il à la domination et à l'inspection de quelque autre pouvoir? Il est aisé de répondre, qu'encore que, dans l'état de nature, l'homme ait un droit, tel que nous avons posé, la jouissance de ce droit est pourtant fort incertaine et exposée sans cesse à l'invasion d'autrui. Car, tous les hommes étant Rois, tous étant égaux et la plupart peu exacts observateurs de l'équité et de la justice, la jouissance d'un bien propre, dans cet état, est mal assurée, et ne peut guère être tranquille. C'est ce qui oblige les hommes de quitter cette condition, laquelle, quelque libre qu'elle soit, est pleine de crainte, et exposée à de continuels dangers, et cela fait voir que ce n'est pas sans raison qu'ils recherchent la société, et qu'ils souhaitent de se joindre avec d'autres qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s'unir et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens; choses que j'appelle, d'un nom général, propriétés.
124. C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté et se soumettent à un gouvernement, c'est de conserver leurs propriétés, pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans l'état de nature.
Premièrement, il y manque des lois établies, connues, reçues et approuvées d'un commun consentement, qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la justice et de l'injustice, et
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