Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
des S.S. et il fut affecté au poste d’agent de chauffe de la prison, au bloc 11. On faisait appel à lui pour les cas difficiles, lorsqu’il s’agissait par exemple de sortir des détenus du bunker pour les fusiller devant le mur noir de la cour. Cependant, Jakob s’était fait souvent remarquer par sa serviabilité et son bon cœur. Nous lui devions une amélioration sensible de nos conditions d’existence depuis son affectation au bloc 11.
Lorsque j’arrivai à Birkenau, je fus surpris de voir à quel point le paysage avait changé. Quinze mois plus tôt, ce n’était qu’un désert marécageux. Le petit secteur B.I., où j’avais passé quelques jours au début du mois d’avril, avait été agrandi par la création d’un nouveau secteur B. II. Une véritable ville d’esclaves avait été construite, composée de sept camps, entièrement terminés et d’environ 200 baraquements.
Dès notre arrivée, nous fûmes affectés au camp B. II. Notre cantonnement se trouvait dans le bloc 13. Celui-ci se différenciait des autres par son aspect extérieur qui rappelait plus une écurie qu’un logement destiné à des hommes. Le baraquement avait environ 40 mètres de long sur 10 mètres de large. Contrairement aux autres cours, celle de ce bâtiment était entourée d’un mur. Le portail d’entrée était presque toujours clos. À côté se trouvait une petite sortie. La surveillance de cette issue était assurée par un détenu, jeune et robuste, armé d’une matraque en bois.
Il avait pour mission de veiller à ce qu’aucune personne de l’extérieur n’entrât en contact avec nous. Le chef de bloc, un nommé Serge, était un commerçant en textiles de Paris, d’origine polonaise. Il était arrivé au camp à la fin de mars 1942 dans un convoi en provenance de Compiègne. Il portait sur la manche de son uniforme de détenu un brassard rouge portant l’inscription « doyen du bloc 13 » cousue avec du fil blanc. Serge était un homme jeune, d’une trentaine d’années, de taille moyenne, au teint coloré. Ses lunettes à forte monture d’écaille le faisaient prendre pour un intellectuel, ce qui ne lui plaisait pas. Je n’étais qu’un simple détenu, tandis qu’il était chargé de fonction ; il se montrait pourtant prévenant avec moi, sans doute parce que nous avions sensiblement le même numéro d’immatriculation. Il était en effet de règle chez les détenus de respecter ceux qui portaient un numéro inférieur au leur.
400 détenus étaient parqués dans notre bloc, principalement des juifs polonais du ghetto de Ciechanow et du camp de Kielbasin ; il y avait également un groupe de juifs français d’origine polonaise du camp de Drancy, quelques Grecs, des Hollandais et des juifs de Slovaquie. La vie concentrationnaire partagée avec ces nouveaux camarades, après un isolement de quatorze mois dans le bloc 11 d’Auschwitz, me donnait une impression réconfortante de solidarité. Je me sentais moins abandonné et moins désespéré qu’un mois plus tôt. Comparée au nouveau bloc, qui était pourtant séparé des autres cantonnements, notre cellule 13 du bunker 11 d’Auschwitz me semblait un sinistre cachot. Nous pouvions maintenant respirer librement dans la cour, nous rendre dans la salle de douche lorsque nous le voulions et converser avec nos camarades. Les conditions de vie en commun me paraissaient meilleures qu’à Auschwitz, et, en outre, les détenus polonais Ilczuk, Lipka et le chef Morawa logeaient loin de nous, dans le bloc 2 réservé aux dirigeants du camp. L’occasion d’avoir des contacts avec des détenus, en dehors du bloc, ainsi que le comportement plus humain des chefs Schlojme, Lajzer, Kaminski et Lipka me redonnèrent alors quelque espoir dans l’avenir. La pensée obsédante des exécutions en masse était refoulée à l’arrière-plan de nos préoccupations qui étaient tournées vers la fin tant espérée de nos tourments.
L’amélioration de notre condition se manifestait dans bien des domaines. Des médecins juifs avaient la possibilité d’exercer leur activité aux côtés de leurs collègues polonais, affectés depuis le printemps de 1942 à l’hôpital des détenus. Dans d’autres secteurs du camp, des doyens de bloc, des secrétaires et des responsables de chambrée chargés de fonctions importantes étaient des juifs. Lorsque les équipes de travail sortaient du camp, on remarquait ici et là des chefs et des
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