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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Filip Muller
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améliorer la condition de sa famille. En cet instant, à l’heure de notre rencontre, il ne voulait surtout plus penser à ses désillusions, s’efforçant de chasser de son esprit toutes les misères dont nous étions accablés, pour se réfugier dans une sorte de monde imaginaire qui se limitait à de pieux désirs. J’aurais voulu lui crier : « Tu te trompes, père, ton fils, élève du cours de violon du professeur Rihak, n’est plus un musicien mais un croque-mort chargé de brûler des cadavres. » Mais ma gorge se serrait et aucune parole ne pouvait sortir de ma bouche. Les larmes aux yeux je m’enfuis à toutes jambes et, saisissant la brouette, courus jusqu’à la porte du crématoire. Il était d’ailleurs grand temps car Mietek Morawa commençait à me chercher. Par la suite, je rencontrai mon père à plusieurs reprises. Malgré l’aide et le réconfort que je pouvais lui apporter, il dépérissait de jour en jour. Je remarquai qu’il pouvait à peine se tenir debout et qu’il avait la fièvre. Je compris en voyant ses yeux brillants et ses lèvres crevassées qu’il était atteint du typhus exanthématique. Quelques jours plus tard, le camion assurant le service de l’hôpital déchargea des cadavres parmi lesquels je reconnus le corps de mon père. Mes camarades le portèrent jusqu’au crématoire. Devant le four incandescent, Schwartz récita la prière des morts. Dans ce lieu de malédiction qui engendrait la désespérance, Schwartz demeurait froid et impassible. Fidèle à la tradition de ses ancêtres, il célébrait les louanges du Seigneur et Créateur du monde : « Que le nom du Seigneur soit sanctifié et vénéré dans le monde qu’il a créé selon Sa volonté. Il régnera sur Son royaume, chaque jour de votre vie et de celle de toutes les générations d’Israël, dans le présent et dans l’Eternité. Amen. »
    Après toutes les scènes de violence et de cruauté que je venais de vivre, je croyais que tout sentiment et toute émotion étaient éteints en moi. Mais cette fois les circonstances étaient pour moi si atroces que je crus un moment qu’il me serait impossible de les supporter plus longtemps. Paradoxalement pourtant, la fin de mon père renforçait en moi, je le sentais, une inébranlable volonté de survivre.

LES NOUVELLES FABRIQUES DE MORTS
    L’administration S.S. des services des bâtiments s’attendait, grâce à la construction d’une nouvelle cheminée carrée, à un fonctionnement désormais sans incidents des fours crématoires. Mais il fallut bientôt se rendre à l’évidence : cette cheminée n’était pas adaptée aux besoins. Pendant le fonctionnement des fours, des briques réfractaires se détachaient constamment et obstruaient le conduit d’évacuation de la fumée. Les convois de juifs qui arrivaient sans cesse ne pouvaient donc être « liquidés » dans le four crématoire et son utilisation dut être restreinte au cours de l’automne 1942.
    Le petit « chantier de la mort », la chambre à gaz, qui pouvait contenir plus de 700 personnes, ne servait plus qu’au titre d’installation annexe aux deux centrales de destruction humaine de Birkenau, les bunkers I et II. Ces deux constructions étaient de simples maisons rurales blanchies à la chaux, couvertes de toits de chaume, du village polonais de Brzezinka, que l’on avait transformées en chambres à gaz. Elles étaient situées à l’ouest des futurs fours crématoires IV et V.
    Les cadavres des hommes gazés dans les bunkers I et II étaient alors jetés dans de vastes fosses communes qui avaient été aménagées dans le voisinage. Au cours de l’été de 1942, le soleil était ardent et sous l’influence de la canicule les corps à peine recouverts gonflaient et crevaient la croûte de terre superficielle. Une matière noirâtre remontait à la surface du sol, répandant une odeur pestilentielle, et contaminait l’eau des nappes phréatiques. Il nous fallut y répandre quelques fûts de chlorure de chaux mais cela ne suffisait pas.
    Je m’entretins de ce problème avec quelques détenus du commando spécial de ce secteur. Ce groupe était surtout composé de juifs tchécoslovaques et de quelques déportés originaires de France. Ils étaient alors occupés à déterrer les cadavres et à les incinérer. Toute la campagne environnante était envahie d’une épaisse fumée noirâtre. D’innombrables cadavres bleuâtres, constellés de vers, gisaient sur le

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